Fait sur notre avenir
Refléter leur image.
GEORGETTE.
Rappelle-toi
Comme, alors, près de moi,
Ta voix était pressante !
TRISTAN.
Mon cœur battait
Et le tien s’agitait
Sous ma main frémissante !
GEORGETTE.
Chaque jour nous jurions
Que nous nous aimerions
Sans cesse et sans partage.
TRISTAN.
Puis, le jour s’écoulait,
Et le soir, il semblait
Qu’on s’aimât davantage !
GEORGETTE.
Vois-tu d’ici,
Que de papier noirci !
Que de lettres charmantes !
TRISTAN.
Le cœur parlait,
Et la plume volait
Sur ces pages brûlantes !
ENSEMBLE.
Temps heureux des amours,
Moments, hélas ! si courts,
Vous fuyez !… c’est dommage !
Mais un long souvenir
Fait sur notre avenir,
Refléter votre image !
GEORGETTE. Ces lettres que je t’écrivais, j’aurais bien aimé à les revoir !… Tu les portais toujours sur toi, Tristan ?
TRISTAN. Oui, j’avais tant de plaisir à les relire !… Mais, toi aussi, Georgette, tu portais les miennes ?
GEORGETTE. Sans doute !… Prête-les-moi donc !
TRISTAN. Montre-les-moi.
GEORGETTE. Je les ai oubliées dans ma robe neuve…
TRISTAN. Je les ai laissées dans mon vieil habit.
GEORGETTE, à part. Il ne me les rendrait peut-être pas !
TRISTAN, à part. Elle n’aurait qu’à les garder !
GEORGETTE, à part. Elles me consoleront… quand je serai vieille.
TRISTAN, à part. Quand je serai vieux, elles me ranimeront !
GEORGETTE, regardant la main de Tristan. Tiens ! tu as remis à ton doigt cette petite bague que je t’avais donnée ?
TRISTAN. Et toi… tu as repris ces modestes boucles d’oreilles en corail… mon premier cadeau ?
GEORGETTE. Oui, une idée… une fantaisie !
TRISTAN. C’est comme moi, tout à l’heure, avant ton arrivée, je me disais : Cette pauvre Georgette !… je ne lui ai jamais donné grand’-chose !… Et j’ai couru dans la galerie, chez un bijoutier, t’acheter ce bracelet. (Il le lui donne.)
GEORGETTE, le prenant vivement. Voyons !… Dieu ! qu’il est joli !
TRISTAN. Tu le porteras toujours, n’est-ce pas, en souvenir de moi ?
GEORGETTE, émue. Oh ! oui !… toujours !… Ah ! mon Dieu !… et moi qui n’ai rien à te donner !… pas le plus petit bijou !… rien !… Ah ! (Elle prend sur la table les ciseaux que Tristan y a jetés précédemment, se place devant la glace, coupe vivement une boucle de ses cheveux, puis la lui donnant.) Tiens !… tu la garderas toujours, n’est-ce pas ?
TRISTAN.[1] Toujours ! (À part.) Suis-je bête ! j’ai le cœur gros !
GEORGETTE, à part. Mes yeux se mouillent malgré moi !
TRISTAN, à part. Allons !… que diable !… il faut être homme ! (Haut.) Je crois qu’il n’est pas loin de huit heures… Tu sais que j’ai une affaire ?…
GEORGETTE. Et moi aussi.
TRISTAN. Il faut nous séparer, Georgette.
GEORGETTE. C’est vrai !… Adieu, Tristan !
TRISTAN. Non pas adieu… au revoir !
GEORGETTE. Il me semble que tu ne m’as pas embrassée ?
TRISTAN. Oh ! plutôt deux fois qu’une ! (Il l’embrasse.) Adieu, Georgette !
GEORGETTE. Adieu, Tristan !
TRISTAN, ému. Sommes-nous drôles, hein ?… Nous nous disons cela, comme si nous partions pour la Cochinchine !
GEORGETTE.[2] C’est juste… et pourtant…
TRISTAN, à part. Sapristi ! coupons court aux adieux… ou je sens que je vais pleurer comme un veau. (Il tire la sonnette et appelle.) Gaspard ! Gaspard !
GEORGETTE. Ne te presse pas, je vais partir la première.
TRISTAN. Non… c’est moi… arrange-toi à ton aise !
GEORGETTE, à part. Et ma lettre ?
TRISTAN, à part. Et mon billet ?
Scène XI
GASPARD. L’addition demandée.
TRISTAN, regardant. Vingt-sept francs soixante quinze !… En voici trente !
GASPARD. Merci, monsieur.
ENSEMBLE.
TRISTAN, à part.
Elle va, dans ce lieu,
Recevoir mon message ;
Il le faut… du courage !
GEORGETTE, à part.
De mon cruel aveu
Il souffrira, je gage !…
Il le faut, du courage !