que j’ai très-bien comprise depuis. Vrai, je ne me serais jamais attendu à ça de la part d’un magasin de lingerie !… Sapristi ! ça m’a bien étonné !
GEORGETTE, baissant les yeux. Tristan !
TRISTAN
Air de Mazaniello.
Partout la confusion règne
Aujourd’hui dans les magasins ;
Moi, je me fiais à l’enseigne
Que je lisais tous les matins ;
Je comptais là-dessus, ma chère :
Qui diable se serait douté
Qu’une boutique de lingère
Tenait aussi… la nouveauté ?
GEORGETTE, d’un ton de reproche. Veux-tu te taire !
TRISTAN, changeant de ton. Veux-tu du homard ?
GEORGETTE. Non, merci !
TRISTAN. Depuis ce moment-là, que de beaux jours, tous deux, chez moi, dans mon petit logement de garçon !
GEORGETTE. Vivant… comme mari et femme !
TRISTAN. Mangeant ensemble jusqu’à ma dernière pièce de cent sous.
GEORGETTE, avec intérêt. Comment !… Est-ce que tu serais gêné, Tristan ?
TRISTAN. Allons donc !… ce n’est pas ça, d’ailleurs, qui nous empêcherait de nous aimer.
GEORGETTE, vivement. Oh ! non… car si tu étais pauvre, vois-tu.
TRISTAN. Eh bien !
GEORGETTE. Rien… un enfantillage… donne-moi à boire !
TRISTAN, lui versant à boire. À nos amours passées !
GEORGETTE, levant son verre. À ton bonheur futur !
TRISTAN.
À l’esprit ! à la grâce !
GEORGETTE, debout, élevant son verre.
À mon premier vainqueur !
TRISTAN, posant son verre.
Veux-tu que je t’embrasse ?
GEORGETTE, de même.
Oh ! oui, de tout mon cœur !
Toujours aimable et bonne !
GEORGETTE, l’embrassant.
Ce baiser, je le donne
Sans me faire prier.
TRISTAN, à part.
Hélas ! c’est le dernier !
GEORGETTE, à part.
Me ferais-je prier,
Lorsque c’est le dernier ?
TRISTAN.
Mais ce baiser si tendre,
Pour ne te devoir rien,
Je voudrais te le rendre.
GEORGETTE.
Tristan, je le veux bien !
Maintenant chacun aura le sien.
Scène IX
LA VOIX, partant du côté droit. Sacrebleu ! garçon !… ce cabinet-là est grand comme la main… et madame a le soleil dans l’œil, mille tonnerres !
TRISTAN, écoutant.[1] Mazette !… voilà un gaillard qui n’est pas endurant ! (Se tournant vers le cabinet de droite.) Modérez-vous, jeune homme ! (À lui-même.) On est comme dans une lanterne, ici… on entend tout.
LA VOIX, en dehors. Allons, ça suffit, mille carabines !… puisque vous n’en avez pas d’autre… mais servez-nous vite, cornes du diable !
Scène X
TRISTAN. Ah çà ! mais c’est une machine à jurer que cet Olibrius-là !… (À Georgette.) Un peu de gelée au rhum !
GEORGETTE. Merci… je n’ai plus faim.
TRISTAN. Ni moi !… c’est étrange… nous n’avons rien mangé du tout !… Ce juron ambulant t’aura effrayée ?… Parbleu, la femme qui est avec lui doit avoir de l’agrément.
GEORGETTE. Eh ! mon Dieu ! quand on s’aime, on se passe bien des choses.
TRISTAN. Oui… et ils doivent s’aimer… ou ils en sont bien près… puisqu’ils viennent ici, ensemble, en cabinet particulier.
GEORGETTE, soupirant. Comme nous… il y a deux ans.
TRISTAN. C’est vrai ! (Il regarde autour de lui.) Ah ! Georgette !… Je ne me trompe pas…
GEORGETTE. Quoi donc ?
TRISTAN, regardant toujours. Oui, c’est cela… je me souviens… ce cabinet.
GEORGETTE. Eh bien ?
TRISTAN. C’est celui de notre premier rendez-vous !
GEORGETTE. De notre premier dîner ?
TRISTAN. De notre premier amour !… et là, là… regarde dans le coin de cette glace…
GEORGETTE. Nos deux noms que nous avions écrits…
TRISTAN. Après… dîner.
GEORGETTE. Avec ton diamant.
TRISTAN. Les deux noms y sont encore… (Regardant sa main.) Mais le diamant n’y est plus… (Regardant Georgette.) Comme tant d’autres choses.
GEORGETTE, avec émotion. Charmants souvenirs !
TRISTAN, de même. Ça rajeunit.
GEORGETTE.
Temps heureux des amours,
Moments, hélas ! si courts,
Vous fuyez !… c’est dommage !
TRISTAN.
Mais un long souvenir
- ↑ Tristan, Georgette.