TRISTAN, entrant. Georgette !
GEORGETTE, gaiement à Tristan. Mais venez donc, monsieur… voilà deux heures que je vous attends !
TRISTAN. Il ne faut pas m’en vouloir, mon bon chat… c’est toi qui en es la cause !
GEORGETTE. Moi ?… et comment cela ?
TRISTAN. Tu le sauras, curieuse ! (Il la regarde.) Dieu ! que tu as une petite robe qui te va bien !
GEORGETTE.[1] Tu trouves ? J’avais envie pourtant d’en mettre une autre, de me parer pour faire honneur à ton invitation.
TRISTAN. Oh ! que tu aurais eu tort !
Des dames aux riches costumes
Le plaisir ne s’approche pas ;
Car il voit l’ennui sur les plumes
Et dans les plis des falbalas.
Mais près de nos simples grisettes
Il s’aventure sans danger :
Le plaisir aime les toilettes
Qu’il ne craint pas de déranger.
GEORGETTE. Vraiment ! (Le regardant.) Oh ! comme tu es ébouriffé !… viens donc ici que je t’arrange tes cheveux ! (Elle le fait asseoir sur le divan.)
Bien souvent, de frisure
Quand elle avait besoin,
De cette chevelure
Mon amour a pris soin.
TRISTAN.
L’homme, hélas ! est si bête !
À l’amour, en effet,
Nous livrons notre tête…
Dieu sait ce qu’il y met !
TRISTAN. Aïe !… tu m’arraches les cheveux !
GEORGETTE, le baisant au front. Veux-tu te taire, menteur !
GASPARD, à part. Nom d’un petit bonhomme ! Ils ne pensent plus à moi !… Manifestons ma présence, ou ils vont me mettre dans une position affreuse !… (Haut, et en jetant à terre une assiette qui se brise.) Je crois qu’il est temps de servir.
TRISTAN. Tiens ! Gaspard qui est là ! je l’avais oublié ! Sers, mon vieux, sers… puis tu nous laisseras !
GASPARD, à part, en sortant. Est-il pressé !… oh ! scélérat de monsieur Tristan !
TRISTAN, à part de loin, regardant Georgette. Pauvre fille !… si elle savait que…
GEORGETTE, de même. Pauvre garçon !… s’il se doutait…
GASPARD, rentrant avec des plats, ainsi qu’un autre garçon, et disposant tout sur la table. Voilà le potage ! (Il le met, tout en regardant Georgette, à côté de la table et manque de le jeter par terre.)
TRISTAN, gaiement. À table !… j’ai une faim.
GEORGETTE[2], de même. Et moi donc ?
GASPARD. Monsieur n’a pas d’autres ordres à me donner ?
TRISTAN, avec intention. Non, ma foi ! Tu te souviens bien de tout ce que je t’ai dit ?
GASPARD, de même. Oh ! oui, monsieur.
GEORGETTE, de même. Nous verrons si vous n’oubliez rien.
GASPARD, de même. Soyez tranquille ! (À part.) Dieu de Dieu ! je donnerais dix sous pour être à la place de monsieur Tristan. (Il s’assied sur le divan, Tristan le voit, se lève, le prend par le bras, et le jette à la porte.)
Scène VIII
TRISTAN. Ah ! nous voilà seuls ! chez nous !… c’est bon d’être ensemble !… veux-tu dîner ?
GEORGETTE. Comme tu voudras. (Ils s’attablent tous deux.)
TRISTAN. Quelle bonne soirée nous allons passer là… tous les deux !
GEORGETTE, distraite. Oui… charmante.
TRISTAN. C’est-à-dire… jusque huit heures.
GEORGETTE. Ah !
TRISTAN. Eh ! oui… on dirait que le diable s’en mêle, ma parole d’honneur !… Il me tombe une affaire sur les bras.
GEORGETTE. Tiens !… c’est comme à moi.
TRISTAN, cherchant ses mots. Mon… mon ancien capitaine.
GEORGETTE, de même. Ma… ma maîtresse d’apprentissage.
TRISTAN. Qui a la goutte.
GEORGETTE. Qui a des rhumatismes.
TRISTAN. Pauvre femme !
GEORGETTE. Pauvre capitaine !
TRISTAN, servant Georgette. Tiens… du poulet ?
GEORGETTE. Très-peu… et toi, tu n’en prends pas ?
TRISTAN. Ah ! c’est vrai ; mais tu ne manges pas, Georgette ?
GEORGETTE. Ni toi non plus.
TRISTAN. Je te regarde… c’est drôle !… je ne t’ai jamais trouvée si jolie.
GEORGETTE. C’est singulier !… Tu ne m’as jamais paru si aimable !
TRISTAN. Ce que c’est que de s’aimer depuis longtemps !… Car sais-tu bien qu’il a déjà longtemps, Georgette ?
GEORGETTE. Mais oui… deux ans !
TRISTAN. Je croyais que c’était trois.
GEORGETTE, réfléchissant. Tu as peut-être raison… mais non !
TRISTAN. C’est juste… il n’y a que ça ! (Souriant.) Dis donc, me vois-tu d’ici… passage Véro-Dodat, faisant le pied de grue devant ton magasin de lingerie, entrant tous les matins pour acheter… un faux col ?… j’en ai quatre-vingt-dix-neuf !… pour toute ma vie !… j’aurais acheté le centième… et toute la boutique, si tu n’avais pas enfin accepté… une entrevue… et un petit dîner.
GEORGETTE. Parce que tu m’avais fait accroire que nous serions trois.
TRISTAN. Certainement !… pour vaincre ta résistance, que je ne m’expliquais pas… et