Scène IV
Comment, il va dîner avec une dame, et, au lieu d’attaquer ça carrément, il lui écrit !… Il n’ose pas lui parler ! lui ! monsieur Tristan ! un ancien lapin d’Afrique… qui dans le temps… ah ! je ne le reconnais plus…
Ce n’est plus ça ! (bis.)
Lui qui prenait par escalade
Toutes les places qu’il força,
Aujourd’hui battant la chamade,
Il fait la guerr’ par ambassade !
Ce n’est plus ça ! (4 fois.)
Mais moi, je vous lui dirais… et plutôt deux fois qu’une… Mademoiselle… (Il cherche à continuer, puis, ne trouvant plus le mot.) Oh ! je me connais ! oh ! le service des cabinets particuliers, ça produit des effets… terribles !… ça vous métamorphose un homme !… Oui… au Café-Turc, ça n’était pas la même chose… l’influence de l’orgeat, de la limonade…
Ce n’est plus ça ! (bis.)
Comme un carafon d’eau glacée,
Froid et calme dans ce temps-là,
Je n’avais pas une pensée,
Et je marchais… tête baissée…
VOIX D’UN GARÇON, en dehors. Gaspard !
GASPARD, ouvrant la porte et sortant à moitié. Voilà ! voilà !
LA VOIX, en dehors. Une dame pour le numéro quatre !…
Scène V
GEORGETTE, paraissant sur le seuil. Est-ce ici le cabinet de monsieur Tristan ?
GASPARD. C’est ici même… Si madame veut entrer.
GEORGETTE, après être entrée et avoir regardé autour d’elle. Eh bien ! il n’y est pas ?
GASPARD. Il est descendu un instant, madame… ne vous impatientez pas… il va remonter… (À part.) Voilà une jolie femme et qui m’irait énormément, à moi !
GEORGETTE, se débarrassant de son chapeau, etc. Ah ! il va revenir ? (À part.) Oui, c’est cela… profitons du moment ! (Haut.) Garçon ?
GASPARD. Madame !
GEORGETTE, lui donnant une pièce d’argent. Tenez !
GASPARD, surpris. Cinq francs !
GEORGETTE, lui remettant un billet. Et cette lettre.
GASPARD, stupéfait. Elle aussi ?
GEORGETTE. Elle est pour la personne avec laquelle je vais dîner.
GASPARD. Monsieur Tristan ?
GEORGETTE. Justement ; mais vous ne la lui remettrez que lorsque nous nous serons séparés.
GASPARD, à part. Encore comme l’autre.
GEORGETTE. Vous comprenez ?
GASPARD. Parfaitement ! (À part.) Je n’y comprends rien du tout !… Des gens qui vont dîner ensemble et qui s’écrivent !… c’est probablement une manie… ou bien un vœu… (Haut.) Madame désire-t-elle un verre d’absinthe ?
GEORGETTE, souriant. Non, merci. (On sonne fortement en dehors.)
GASPARD. Voilà ! voilà ! (À part, en sortant, les yeux fixés sur Georgette.) Dieu ! la charmante femme !… Je suis sûr que j’aurai des songes terribles !
Scène VI
Ce garçon lui remettra ma lettre et tout sera fini !… Allons, ce sera notre dernier tête-à-tête ! Car ce soir, à huit heures, j’ai donné rendez-vous à mon cousin Jacques… et nous partirons ensemble pour le pays… où nous nous marierons… et je deviendrai une femme… comme les autres… on me respectera. J’ai bien peur de m’ennuyer !
Je vais jurer d’être fidèle,
D’être fidèle,
Et de chercher mon seul abri
Près d’un mari !
La chose, hélas ! se pourra-t-elle ?
Jacque est fait d’un si laid modèle !
Un seul moment (bis.)
Peut emporter mes vœux et mon serment !
Et mon serment !
C’est égal !… ce n’est pas pour s’amuser que l’on se marie !… Et il ne faut tromper personne !… Aussi je ne reverrai plus Tristan… jamais ! parce que il n’y a pas à dire…
J’aurai juré d’être inflexible !
D’être inflexible !
De repousser les doux propos,
Vieux ou nouveaux !
Avec lui serait-ce possible ?
Un vieil ami c’est si terrible !
Un seul moment (bis)
Peut emporter les vœux et le serment !
Et le serment !
Peut emporter les vœux et le serment !
Ce pauvre garçon ! ça me fera de la peine ! oh ! je penserai souvent à lui… mais qui sait ? Il m’oubliera peut-être bien vite !
TRISTAN, en dehors. Gaspard !… allons donc, Gaspard !
GASPARD, en dehors. Voilà ! monsieur Tristan !… voilà !
GEORGETTE. C’est lui ! (Se regardant dans la glace.) Une larme !… ah ! qu’il ne la voie pas ! (Elle s’essuie vivement les yeux.)
Scène VII
GASPARD, ouvrant la porte à Tristan. Cette dame est arrivée.
- ↑ Gaspard, Georgette.