GEORGETTE. Quoi donc !
TRISTAN, écoutant. De l’argent !… une fortune, à toi !… Dans un journal… le journal du Havre !
GEORGETTE. Est-il possible ?
TRISTAN, écoutant. Oui !… tu as hérité, et c’est pour cela qu’il veut t’épouser.
GEORGETTE. Oh ! c’est indigne !
TRISTAN, prenant le journal du Havre… « Les huîtres sont en grande abondance au Havre… » Ce n’est pas ça ! (Il tourne le feuillet.) Ah ! m’y voici !… (Il lit.) « Mademoiselle Georgette Ganivet, native de Sainte-Adresse, est priée de faire connaître le lieu de sa résidence à maître Plumeau, notaire au Havre, exécuteur testamentaire de Georges Balandin, son parrain, capitaine au cabotage, décédé depuis treize mois, et qui l’a instituée sa légataire universelle. »
GEORGETTE. Pauvre parrain !… que je n’avais pas vu depuis l’âge de trois mois.
TRISTAN. Sapristi !… j’aime mieux ton parrain que celui d’à côté !…
GEORGETTE. Je suis donc riche !
TRISTAN. Tu es riche.
GEORGETTE, lui tendant la main.[1] Non… nous sommes riches.
Scène XXI
GASPARD, entrant. Dites donc, monsieur Tristan… on demande le journal du Havre dans le cabinet à côté.
TRISTAN. Prends !
GEORGETTE, s’en emparant. Attends… un crayon ?
GASPARD, lui en donnant un. Voilà !
GEORGETTE, écrivant. Tiens… là… sur la marge !… bien en évidence… « Cher cousin, vous êtes trop généreux, et je suis trop pauvre pour devenir votre femme ! Signé, Georgette ! »
TRISTAN. Bravo !
GEORGETTE, à Gaspard, montrant la gauche. Donnez maintenant ce journal aux deux personnes qui sont dans ce cabinet.
GASPARD. Oui, madame.
TRISTAN, l’arrêtant. Attends encore un peu ! (À Georgette.) Passe-moi le crayon. (Il écrit sur une feuille qu’il arrache à la carte.) « Chère future, vous avez trop de famille pour un homme seul. (Parlé.) Daté. (Il écrit.) Du cabinet voisin. — Tristan. »
GEORGETTE. Très-bien !
TRISTAN, à Gaspard. Ce billet… dans le cabinet de l’homme qui brise les assiettes…
GASPARD. Oui, monsieur… Ah ! il est au poste.
TRISTAN. Ah ! Gaspard, une minute. (À Georgette.) Dis donc, Georgette… est-ce que tu ne mangerais pas volontiers quelque chose, toi ?
GEORGETTE. Oh ! oui, je meurs de faim.
TRISTAN. Et moi aussi. (À Gaspard.) Gaspard, sers-nous à dîner.
GASPARD, étonné. Encore une fois ?
TRISTAN. Au galop… et servons chaud !
GASPARD, à lui-même. Ils vont se donner une indigestion, c’est sûr ! (Haut, après avoir fait quelques pas.) À propos… et la voiture ?
TRISTAN. Qu’elle attende !… elle nous conduira… au Havre.
GEORGETTE. Ah çà ! Tristan, j’espère qu’à présent tu vas porter ta croix ?
TRISTAN, riant et l’embrassant. Puisque je me marie.
GEORGETTE[2].
Ces dîners fins, que l’amour assaisonne,
Sont cachés même à nos meilleurs amis.
TRISTAN.
Vous étiez là, pourtant, et je soupçonne
Qu’à ce repas, où vous fûtes admis,
Gens scrupuleux, moralistes féroces,
En nous blâmant, ont rougi d’assister…
GEORGETTE.
Mais celui-ci, c’est un dîner de noces,
Et nous pouvons, messieurs, vous inviter.
ENSEMBLE.
Mais celui-ci, c’est un dîner de noces,
et nous venons, messieurs, vous inviter.