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GEORGETTE. Je n’ai pas de famille, moi, et elle en a !

TRISTAN. Qu’elle la garde !… je ne veux pas faire partie !… On lui en donnera des maréchaux de logis chefs de la jeune, pour réparer les brèches faites par les généraux de la vieille !… Dans quel guêpier je me jetais là !… C’est que je ne l’aimais pas, cette femme !

GEORGETTE. Oh !

TRISTAN. Non… parole d’honneur !… Tu le sais bien… est ce que je peux aimer une autre femme que toi ? Est-ce qu’il y en a, sous le ciel, une seule qu’on puisse te comparer ?

GEORGETTE. Tristan !

TRISTAN. Tiens, Georgette !… Ne me quitte pas, je t’en prie !

GEORGETTE. Allons donc, monsieur, vous êtes fou !

TRISTAN. Je le deviendrai si tu m’abandonnes !… Voyons… dis-moi… Que faut-il faire pour te prouver que je t’aime plus que jamais !… Veux-tu que je t’épouse ?… Allons réveiller le premier maire venu… je m’en contenterai !… Tu seras ma femme… Oui… je ferai cette folie-là !… Non… pardonne… je ne sais plus ce que je dis… Mais ne me quitte pas… ou je me brûle la cervelle avec la première chose qui me tombe sous la main !

GEORGETTE. Mais c’est impossible… tu sais bien que je n’ai pas de fortune.

TRISTAN. Est-ce que je n’ai pas des bras ?

GEORGETTE. Toi, travailler ?… N’en as-tu pas perdu l’habitude ?

TRISTAN. Je la retrouverai, Georgette !… Je travaillerai comme un nègre… Non, je me trompe, les nègres ne travaillent plus… C’est égal… je travaillerai… et je n’en serai que plus heureux… et toi aussi, tu verras !… C’est arrangé, n’est-ce pas ? Viens vite commander ta robe de noces !

GEORGETTE, irrésolue. Tristan !

TRISTAN, gaiement.[1] En avant ! (Il veut l’emmener.)

GEORGETTE, reculant. Non, non… je ne puis… et mon cousin qui m’attend ?

TRISTAN. Il ne t’attend plus ! Il est neuf heures !… J’ai retardé la pendule.

GEORGETTE. Qu’avez-vous fait ?… N’importe, je le retrouverai !


Scène XIX

LES MÊMES, GASPARD.

GASPARD, entr’ouvrant la porte. La voiture demandée est en bas.

TRISTAN, allant vivement pousser la porte sur le nez de Gaspard. Qu’elle attende, je la prends à l’heure ! (Gaspard disparaît en criant douloureusement :) Voilà, voilà.


Scène XX

TRISTAN, GEORGETTE.

GEORGETTE. Adieu !

TRISTAN, la retenant et avec passion. Ainsi tout est fini ? tu me quittes, Georgette ? prends bien garde à ce que tu vas faire !… Quand tu seras partie… il ne sera plus temps… réfléchis, Georgette !

GEORGETTE.[2] C’est tout réfléchi, monsieur.

TRISTAN. Eh bien !… c’est bon… n’en parlons plus ! (Il se jette sur le divan. À part.) C’est égal ! ça fait bien mal !

GEORGETTE, à part, le regardant. Une larme ! (Elle hésite.) Ah ! du courage !… adieu, Tristan !

TRISTAN, sans la regarder. Adieu, Georgette.

GEORGETTE. Elle ouvre la porte du fond, va pour sortir, s’arrête, puis revient doucement déposer un baiser sur le front de Tristan. Et, cette fois, adieu pour toujours !

TRISTAN, se levant vivement. Georgette !

GEORGETTE. Laisse-moi ! (Elle se précipite vers la porte qui est restée ouverte. — À ce moment, on voit passer en dehors, devant la porte du cabinet, et disparaître aussitôt, deux hommes dont l’un est vêtu en paysan ; un garçon les précède et disparaît aussi.)

LE GARÇON, criant en dehors. Par ici, messieurs, par ici ! (Georgette, les apercevant, se rejette en arrière et ferme vivement la porte.)

GEORGETTE, avec un cri. Ciel ! mon cousin !

TRISTAN. Lui !… ici ?

GEORGETTE. M’aurait-il suivie ? Je lui avais promis de ne plus le revoir !

TRISTAN. Je vais lui proposer de lui casser les reins… à ce qu’il voudra… à son choix.

VOIX DU COUSIN, en dehors. Garçon, garçon !

GEORGETTE. C’est sa voix.

TRISTAN. Dans le cabinet à côté.

GEORGETTE. Pour nous épier sans doute ?

TRISTAN, prenant un couteau.[3] Je vais lui rendre la pareille.

GEORGETTE. Que fais-tu ?

TRISTAN, faisant un trou dans la cloison. J’éventre la cloison en attendant mieux ! (Il écoute et regarde.) Bigre ! quel dîner ils commandent !

GEORGETTE. Lassé de m’attendre il sera sorti… et ce n’est que le hasard heureusement qui l’a conduit ici !… Pourvu qu’il ne m’ait pas aperçue ?

TRISTAN. Non !… Ah ! ils renvoient le garçon… les voilà seuls !… Eh ! mais… ils parlent de toi !

GEORGETTE. Que disent-ils ?

TRISTAN. Ils t’appellent…

GEORGETTE. Comment ?

TRISTAN, avec fureur. Mauvais paysan !

GEORGETTE. Comment m’appelle-t-il ?

TRISTAN, froidement. Je n’ai pas entendu. (Il écoute.) Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que j’entends là ?… Non, je ne me trompe pas !


  1. Tristan, Georgette.
  2. Tristan, Georgette.
  3. Georgette, Tristan.