TRISTAN, se levant. Alors… sonnons !
GEORGETTE. Mais vous avez payé.
TRISTAN. Ah ! c’est vrai !… Eh bien ! je vais envoyer chercher un fiacre… pour toi, Georgette !… je peux bien t’offrir un fiacre… pour la dernière fois…
Ce n’est pas du riche banquier
L’élégante et leste voiture,
Et tu vas de l’humble coursier
Gourmander la modeste allure !…
De sa lenteur ne te plains pas !…
Il me semble, quand je te quitte,
Que ce fiacre, allât-il au pas,
Va t’emporter encor trop vite.
Scène XVII
GASPARD. Monsieur a sonné ?
TRISTAN. Oui.
GASPARD. Que désire monsieur ?
TRISTAN, préoccupé et agité. Qu’est-ce que je désire donc ?
VOIX, en dehors. Garçon ! garçon !
GASPARD, sans bouger. Voilà ! voilà !
VOIX, en dehors. Il ne viendra donc jamais, cet animal-là ? (On entend du bruit.)
TRISTAN. Bon ! le voisin casse la vaisselle à présent !
GASPARD. Ne faites pas attention… c’est son habitude au dessert !… Il ne s’amuserait pas sans ça… c’est une pratique… on lui met toujours ça sur sa carte, à cette vieille graine d’épinards !
TRISTAN, avec humeur.[2] C’est bon… fais avancer une voiture pour madame.
GEORGETTE. Et sur-le-champ, car il doit être tard.
TRISTAN. Mais non… je t’assure. (il passe sa main derrière le dos et retarde la pendule.) Et la pendule avance.
VOIX, en dehors, plus furieuse. Garçon !… Gredin de garçon !
GASPARD, sortant et se tournant vers le cabinet de droite. Veux-tu te taire ! (En sortant.) Voilà, voilà…
Scène XVIII
GEORGETTE. Mon Dieu !… je devrais être déjà partie !
TRISTAN. Tu as bien le temps… Il n’est que sept heures et demie… (à part) et le pouce ! (Haut.) Il t’attend donc, ton généreux cousin !
GEORGETTE. Oui… à huit heures… Et s’il ne me voyait pas…
TRISTAN. Tout serait peut-être manqué. (À lui-même.) Je ne veux pas avoir ça à me reprocher… (Haut.) Viens, Georgette, viens vite, car je te trompais… Il est tard !
VOIX, en dehors. Garçon ! scélérat de garçon !… je lui couperai les oreilles ! (Nouveau bruit de porcelaines brisées, dont un fragment est censé entamer la cloison du cabinet à droite.)
TRISTAN. Bon ! voilà la cloison crevée à présent !
GEORGETTE. Mais on n’est pas en sûreté ! ici !
TRISTAN, s’approchant de la crevasse. Qui diable peut être cet énergumène-là ? (Il regarde par le trou et pousse un cri.) Ah ! qu’est-ce que je vois ? (Il recule stupéfait.)
GEORGETTE, s’approchant du trou. Quoi donc ?
TRISTAN.[4] Ma future, l’élève de Saint-Denis !…
GEORGETTE. Est-il possible ? (Elle regarde.) En tête-à-tête avec ces moustaches grises ?
TRISTAN. Qui appartiennent à son parrain !… Est-ce que par hasard ce vieux de la vieille aurait voulu ?…
GEORGETTE, regardant
Il l’embrasse… ell’ le lui rend !
La dame n’est pas bégueule.
TRISTAN.
C’est un baiser de filleule ?
GEORGETTE.
Oh ! non… c’est bien différent !…
TRISTAN, tombant accablé sur une chaise.
Sacrebleu ! que vais-je apprendre ?
GEORGETTE, regardant toujours.
Pas moyen de s’y méprendre !…
Elle sourit d’un air tendre,
Assise sur son genou ;
Puis, de l’illustre ganache
Elle frise la moustache…
TRISTAN, se levant en fureur.
Georgette !… bouchez le trou !
GEORGETTE, regardant. Chut ! chut ! Taisez-vous donc !… ils causent.
TRISTAN. Si c’était de la retraite de Moscou, ça m’étonnerait bien.
GEORGETTE. Oh ! écoutez ! l’homme à moustaches lui dit : Tu as voulu te marier… Je t’ai donné une dot… je t’ai trouvé un mari… veux-tu que je fasse encore quelque chose pour lui ?
TRISTAN, criant. Assez ! assez ! il a trop fait ! (Avec indignation.) Scélérat de M. Bonnefoi !…
GEORGETTE, riant malgré elle. Pauvre Tristan !
TRISTAN. Tu ris, toi ?
GEORGETTE, de même. Non, je te plains.
TRISTAN. Et c’est pour une gaillarde de ce calibre-là que j’ai rompu avec toi !
GEORGETTE. Dame ! je n’ai pas d’éducation, moi… et celle-ci en a !
TRISTAN, vivement. Elle en a trop.