GEORGETTE, comptant les lettres. Une, deux…
TRISTAN, de même. Trois, quatre…
Scène XV
(On entend une sonnette agitée violemment.)
VOIX, en dehors. Garçon ! garçon !… Mais, sacrebleu, garçon !… et ces filets aux truffes !
TRISTAN. Est-il permis de demander un filet de bœuf avec un pareil filet de voix ? En voilà des cabinets que je retiendrai peu !… avec leurs diables de cloisons volantes. Allons donc, Gaspard, emplis la bouche à cet homme-là… et qu’il se taise.
VOIX DU GÉNÉRAL, en dehors. Sacré mille millions !…
GASPARD, en dehors. Voilà… voilà…
Scène XVI
TRISTAN, écoutant. Ah ! plus rien !… il prend sans doute sa nourriture. (Se mettant à cheval sur une chaise, puis déployant une des lettres et lisant.) « Mon bichon bien-aimé, voilà une demi-heure à peine que tu m’as quitté, et j’éprouve le besoin de t’écrire pour te répéter que je t’aime, et que mon amour ne finira qu’avec ma vie… Tristan ! »
GEORGETTE, à demi-couchée sur le divan. Il y a cela ?
TRISTAN. Eh ! vraiment, oui… Est-on ridicule, hein, dans les premiers moments ?
GEORGETTE. Oh ! ça, oui ! (Regardant à son tour une lettre qu’elle a dépliée.) Comment c’est moi qui ai écrit ces bêtises-là ? (Lisant.) « Mon gros loulou chéri… »
TRISTAN. C’est moi qui étais le loulou !
GEORGETTE, continuant. « Et cœtera… et cœtera… celle qui t’aimera jusqu’à son dernier soupir… »
TRISTAN. Ah ! oui, je me souviens… soupir avec un e au bout !
GEORGETTE. Eh bien ! qu’importe un e de plus ou de moins ?
TRISTAN. Tiens, voici une autre lettre, qui date d’une époque plus tranquille. (Haut.) « Ma vieille… »
GEORGETTE. Comme c’était galant !
TRISTAN, lisant. « J’ai rencontré un ancien maréchal des logis du régiment ; il m’a invité à manger une gibelotte avec des lapins qui reviennent d’Afrique… je n’ai pas pu refuser… et je crains que ça ne se prolonge un peu avant dans la soirée… je vais faire tous mes efforts pour rentrer de bonne heure… ne t’inquiète pas et sois sûre que ça m’ennuie bien… » Et en post-scriptum… « Ne m’attends pas avant sept heures du matin. »
GEORGETTE, dépliant une autre lettre. « Mon cher Tristan, dîne sans moi… je vais au spectacle avec la dame du numéro vingt-huit, qui m’a tourmentée pour l’accompagner. »
TRISTAN. Je n’ai jamais cru à ce spectacle-là, moi.
GEORGETTE. Je n’ai jamais cru au dîner du maréchal des logis.
TRISTAN, riant. Eh bien !… franchement, là, je peux te l’avouer maintenant… c’était une idée de garçon… (vivement) qui n’a pas eu de suites… (à part) longues.
GEORGETTE, riant. Et moi… c’était le banquier de la rue Chauchat qui voulait m’offrir un petit coupé.
TRISTAN. Un coupé ?
GEORGETTE. Avec deux chevaux !
TRISTAN. Diable !
GEORGETTE.
J’ai tout refusé ; mais ma foi !
Alors, bien loin de me défendre,
Si j’avais prévu, croyez-moi,
Ce qu’aujourd’hui je viens d’apprendre…
TRISTAN.
Le coupé du vieux scélérat
Et ses chevaux t’auraient séduite ?
GEORGETTE.
Oui, car lorsqu’on fuit un ingrat,
On ne saurait aller trop vite !
Lorsqu’on s’éloigne d’un ingrat,
On ne saurait aller trop vite !
TRISTAN. Et moi qui ai eu la niaiserie de te rester fidèle… (À part.) De temps en temps… (Feuilletant toujours les lettres, et haut.) Qu’est-ce que je vois ?
GEORGETTE, même jeu. Eh ! eh ! je ne me trompe pas.
TRISTAN. Cette bâtarde n’est pas la mienne.
GEORGETTE. Cette anglaise m’est étrangère.
TRISTAN. Une lettre d’un autre homme !
GEORGETTE. Un billet d’une autre femme !
TRISTAN, jetant un coup d’œil du côté de Georgette, à part. Diable ! la lettre de ma future !
GEORGETTE, même jeu. Dieu ! la lettre de mon cousin !
TRISTAN. Voyons donc la prose de ce monsieur.
GEORGETTE. Qu’est-ce que peut dire cette dame ? (Lisant.) « Mon cher Tristan… » (Le regardant.) Ah ! ah !
TRISTAN, brusquement. Eh bien !… après ?
GEORGETTE, lisant. « Vous êtes fatigué, m’avez-vous dit, d’une liaison illégitime… »
TRISTAN. On se fatigue de tout.
GEORGETTE. Qui vous empêchait de la légitimer ?
TRISTAN, à lui-même. Merci !
GEORGETTE, continuant. « Avec une femme sans éducation… » (Soupirant.) C’est vrai… je n’en ai pas !
TRISTAN. Je n’ai pas dit ça positivement.
GEORGETTE. Oh ! si, monsieur !… Et vous avez eu raison… (Lisant.) « Sans famille… »
TRISTAN. Georgette !