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adolphe brassard

vêtements et jette des corps nus jusqu’au faîte des arbres, où les shrapnels les déchiquettent. Je vois un blessé, les genoux brisés, qui secoue un mort en le suppliant de le secourir ; j’en vois un autre qui se sauve courbé sur ses mains retenant ses boyaux ; j’en vois d’autres et d’autres encore : des agonisants qui se tordent, et des morts qui éclatent sous la poussée des gaz de la putréfaction hâtive qui les gonfle. Et ainsi les blessés, les mourants, et les morts moutonnent dans cette fumée visqueuse qui rampe toujours et que bave la gueule des canons. C’est une bouillie de membres, de chairs, de sang et d’où monte une clameur de folie, faite de râles, de supplications, de blasphèmes. Est-ce le jour ou la nuit ? Foule-t-on la terre ou l’enfer ?

C’est un enchevêtrement d’êtres humains aux contorsions de démons.

Où est la cause que nous défendons ? Où sont les drapeaux ? Où est la civilisation ? Où est la barbarie ? Ce n’est