Page:Brassard - Les Mémoires d'un soldat inconnu.pdf/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.
73
les mémoires d’un soldat inconnu

sé ; sa tête se renverse, ses yeux se creusent et sa peau se tache. Ce doit être la fin, et je le souhaite. J’ai su ce que je voulais savoir : en face, c’est comme ici, on souffre et l’on meurt. Mais eux, c’est la barbarie et nous, c’est la civilisation, et, dans le moment, la civilisation triomphe. Mais la souffrance ne connaît pas de frontière, c’est vrai : je souffre de la souffrance de ce malheureux. Je lui ai porté le coup mortel mais, maintenant, je voudrais soulager sa douleur, et ce n’est pas un homme qui donne de nouveau à boire à un autre homme : c’est une souffrance qui se penche et s’unit à une autre souffrance. Mais le guerrier remonte à la surface, je ne veux plus m’apitoyer. Lui, c’est l’ennemi, il est terrassé et c’est justice. C’est nous la justice, c’est nous le droit. Nous combattons pour une cause sacrée, et tous nous la défendons avec honneur et loyauté. Je veux m’enfoncer cette conviction dans les moelles mais elle ne pénètre pas avant, car au-