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adolphe brassard

ce sang qui me couvre ? Je dois être blessé. Je me touche, je remue les bras, les jambes, aucune douleur. C’est incroyable ! Je recommence mon examen. Je suis intact ! J’en éprouve de la joie, de la fierté. J’ai fait mon devoir de soldat envers la cause sacrée. Il me semble que, quelque part, on me remercie. Je ramène mon regard sur le sang qui m’a maculé. Ce sang n’est pas le mien : c’est celui de ceux-là qui gisent autour de moi. Je m’en approche. Le premier corps sur lequel je me penche est trapu, les épaules sont carrées, les mâchoires et le crâne aussi, c’est un vrai Boche. L’autre est quelconque. Seulement, les deux bulles saumâtres figées en vessie à ses narines le rendent ridicule. Il porte à rire. Mais le suivant me trouble. Ce corps est celui d’un jeune homme. Ses membres dénotent la force, et son front une vaste intelligence. Sa pose dans la mort est gracieuse. Sa tête, légèrement renversée, repose sur son bras replié et on dirait qu’il dort. Il me fas-