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les mémoires d’un soldat inconnu

volent, le sang gicle. Les corps tombent cloués les uns aux autres par les baïonnettes. On écrase les morts, on piétine les mourants. Le sol est rouge, gluant, avec des flaques noirâtres qui se coagulent. Je frappe, et je frappe, et je frappe. Du sang m’entre dans la bouche, je le crache ; il m’en arrive dans les yeux, je l’essuie. C’est effroyable. On taillade, on tue. La respiration est rauque, saccadée avec des hans de colère, de rage, de désespoir, de douleur. L’ennemi recule ; nous gagnons du terrain, je ne m’en rends pas compte. Et, lorsque le combat cesse, je suis là qui m’acharne à un corps sans tête parce qu’il remue chaque fois que je le frappe. Nous sommes vainqueurs ; nous devons avoir conquis cent milles de territoire ? Non, à peine quelques arpents. Des fuyards se sauvent au loin, qu’une balle atteint parfois. Et c’est le nettoyage de la tranchée enlevée. Je me dérobe. La réaction se fait sentir ; je me laisse choir près d’un buisson. Je suis vivant. Mais