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les mémoires d’un soldat inconnu

À dix pas, je vois mon compagnon de route. Le torse à moitié soulevé, il se tord. Frappé de stupeur, je me porte à son secours. Je me penche et le palpe. Du sang englue mes mains, chaud, abondant. Il est blessé d’un éclat d’obus au ventre. Ce n’est pas possible, voyons. Il y a deux minutes, il m’a parlé, et maintenant ! À la lueur du faisceau lumineux qui repasse sur nous, j’assiste à son agonie. C’est court, terrible. Il cherche à s’agripper à quelque chose, et ses doigts s’enfoncent dans le gravier. Ses yeux sont dilatés et fixes. Je veux croire qu’il n’a pas connaissance. Sa bouche est ouverte sur une grimace qui le défigure. Et puis, c’est un râle court, précipité, et qui cesse. Un soubresaut lui arque la colonne vertébrale. Le frémissement final le rejette brusquement de côté et fige ses membres dans l’immobilité. C’est fini. C’est court, oui, mais terrible. Sa tunique déchirée laisse voir le flanc nu et l’horrible blessure. Le spec-