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adolphe brassard

La nuit est noire. Une pluie persistante détrempe les chemins et rend notre marche difficile. Nous allons silencieux. Des troupiers essaient de rompre ce silence par des lazzi qui n’ont pas grand succès. Quelque chose de lugubre enveloppe ces hommes qui s’en vont, muets, vers leur destin. Combien parmi nous referont ce chemin en sens inverse ? Qui tombera le premier ? Celui qui va devant moi ou celui dont j’entends le souffle saccadé dans mon dos ? Comment seront-ils frappés ? La mort sera-t-elle foudroyante ou lente ? Je commence à me rendre compte de ce qu’est la guerre. L’impression est pénible. Je sens le besoin d’entendre le son d’une voix, de parler. Du coude, je touche mon voisin de droite. Il me regarde. Son visage fait une tache pâle dans l’ombre. Il se retourne et de nouveau me regarde et demande :

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Parler un peu.

— T’as peur ?