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les mémoires d’un soldat inconnu

— Jusqu’aux ombres qui se sauvent, dit le poilu. Crois-tu que ça peut se rapicander tout ça ?

— Pour sûr ! C’est tout à l’envers comme après des boustifailles, mais on va ranger les meubles et aplomber le plancher, et tu verras.

— C’est épouvantable, dit-il en faisant tourner lentement les feuillets du calepin qu’il vient de lire.

— Il y était à la guerre celui qui a écrit là-dedans. Il n’a rien inventé.

— Non, c’est ça, trop ben ça !

— Pauvre gars, dommage ! Tout de même, il doit être maintenant à M… On va le trimbaler avec pompe. Nous deux, on entrera à Paris, sans pompe, mais en vie ! Ça vaut tous les cénotaphes.

— Mon vieux, je ne te suis pas à Paris. Ma feuille de route en main, je fiche le camp en droite ligne chez la mère. Je l’embrasse. Puis, je passe dix jours à me baigner dans la mer pour me décroûter à fond. Sans blague, j’ai les orteils plâtrés de boue de tranchée durcie à leur faire rendre un bruit d’ergot quand j’marche.