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adolphe brassard

blantes, tout est éteint en eux sauf l’épouvante de leurs yeux. Voilà l’œuvre de la guerre ; jamais ces hommes ne pourront recouvrer la forme humaine. Une haine effroyable monte en moi, non contre ces malheureux, mais contre les pourvoyeurs attitrés de chair à canon. Ah ! pouvoir leur cracher à la face la salive qui m’emplit la bouche et que les gaz empoisonnés respirés doivent rendre venimeuse, mortelle !

À travers les broches cruelles, des mains se tendent. Je leur jette tout ce que j’ai sur moi, et je me retourne pour ne plus voir. Mon compagnon de tantôt n’est plus à mes côtés. J’ai dû m’en éloigner dans les écarts de ce chemin dont les ornières ne permettent pas la régularité des rangs. Celui qui le remplace est un adolescent. Les coins de ses yeux et de sa bouche ont la courbe délicate de l’enfance. Il ne peut détacher ses regards du pitoyable enclos. Je le force à s’en détourner.

— Ne regarde plus cela, petit.