Page:Brassard - Les Mémoires d'un soldat inconnu.pdf/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
adolphe brassard

noms qui toujours s’étalent, ici et là, à la structure des usines, sur le béton des entrepôts, aux frontons des banques ; j’entends leur voix dans les parlements, dans les halls de la bourse, dans les palais où se tiennent les conférences de désarmement et les assises de la paix ; je les vois, gras et satisfaits, rouler carrosse, déambuler sur les boulevards, recevoir des décorations, donner ostensiblement aux institutions qui hébergent leurs victimes. Et lorsqu’ils viennent déposer sur mon tertre la dispendieuse couronne d’occasion, ah ! pourquoi mes mânes ne changent-ils pas ces fleurs rares en ronces vénéneuses pour les enfoncer dans leurs chairs molles et coupables ?

Sous la stèle, je repose, sans nom, sans âge, sans personnalité connue. Ombre sans contours, chaque couronne que l’on dépose sur moi me pèse et m’en­fonce davantage dans l’anonymat. Et pour cela, que valent mes plaintes et mes accusations ? Je suis comme la lettre anonyme dont on ne s’occupe pas.

Et pourtant, avant qu’un caprice des hommes n’eût fait l’inconnu que l’on