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les mémoires d’un soldat inconnu

dans ce nuage qui passe. Et les fleurs rassemblent leurs corolles pour ne pas me voir, et, pour la même raison, les branches se replient et le nuage fuit. Et, moi aussi, je ne veux plus voir et je ferme les yeux. Mais le masque est en moi : je le verrai éveillé, je le verrai endormi.

Si je retournais au pays, les solides gars de là-bas, après un geste de pitié, diraient dans leur langage pittoresque :

— On lui en a fait une gueule !

Oui, on m’en a fait une gueule ! Et toi belle jeunesse de ma province, belle jeunesse de mon pays, reste chez toi ! Défends ton sol s’il est attaqué, mais jamais, comprends-tu ? jamais, je t’en supplie, ne commets l’erreur fatale d’aller te mêler aux chicanes du vieux monde. Garde tes forces, ton talent, ta vaillance, pour ton pays : les dépenser ailleurs, c’est le trahir.

On m’en a fait une gueule ! Mais mon âme, elle, et mon cœur ! C’est souillé, irrémédiablement souillé.