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les mémoires d’un soldat inconnu

s’installe dans mes chairs en dardant à droite et à gauche ; modère, reprend son jeu cruel, le varie, l’expérimente, puis s’y adonne avec frénésie, pioche et galope de ma tête à ma cuisse, y creuse comme une tranchée où je me débats. La sueur m’inonde.

— Non, il ne pourrait pas supporter une autre piqûre : le cœur est faible, ça le tuerait.

Mais oui, éloignez-vous, docteur, une piqûre ce serait mourir trop vite, et la douleur ne pourrait pas s’assouvir à son saoul. La douleur invite la fièvre au festin de mes fibres, et la soif me dévore. Je boirais un torrent, et une goutte d’eau tombe sur ma langue. Ça ne peut durer : je n’en puis plus. Mais je ne suis pas mon maître ; je suis au pouvoir de la souffrance, et c’est elle qui décide que ça doit durer, parce qu’il lui reste des coins à explorer. Elle me martèle le cerveau, la poitrine, les flancs, et lorsque, enfin, elle se retire, elle me laisse pantelant, vaincu. Et