toutes les personnes qu’il voyoit : à cette idée qui me chagrinoit et dont je tâchai de lui faire connoître doucement le danger, en succéda une nouvelle. Mes observations l’avoient consaincu qui je tenais à notre maison, il passa d’une extrémité à l’autre, il commanda une grille en fer pour condamner l’entrée de l’impasse et ne laisser ainsi le passage qu’à moi seule. Déjà les ouvriers arrivoient pour la poser lorsque j’en fus instruite par la police qui intervint par un contre ordre. En attendant il me falloit, par de continuels sacrifices, appaiser les vendeurs pour les engager à reprendre les objets commandés par mon mari.
Mes amis (j’avais gardé ceux qui savoient pleurer) me conseilloient de le faire interdire, je leur savais gré de leur sollicitude pour moi, j’excusais dans ma raison, tous leurs argumens pour vaincre ma résistance, je convenais avec eux du délabrement de ma fortune qui n’étoit pas à moi seule et dont je frustrais mes enfans mais au fond de mon cœur ma révolution de ne point céder à de pareils conseils s’affermissoit encore par la piété filiale de mon fils ainé. Il avait alors 16 ans, il étoit en âge de raisonner, il me fortifiait dans mon refus de preter l’oreille aux conseils de la prudence. C’est ainsi que mon fils, au dessus de son âge, s’efforçoit d’avance d’absoudre sa mère des foiblesses de l’épouse. Mais puis-je même à présent m’accuser de foiblesse ? Mon mari et moi nous nous étions promis de nous soigner de nous consoler mutuellement, de ne jamais nous abandonner, Dieu avoit reçu nos sermens, ils ont été tenus.
J’ai dit que mon mari vivoit heureux pour son état ; en effet n’éprouvant aucune espèce d’inquiétudes, sa santé corporelle ne laissoit rien à desirer et semblait s’accroitre en raison de l’affoiblissement du moral. Mais cette amélioration apparente ne fut que de courte durée, ou plutôt cet accroissement momentané de forces le conduisit à des crises violentes d’aproplexie dont il fut fréquemment atteint pendant les six dernières années de sa vie. Ce fut alors seulement que je reconnus qu’il pouvoit exister un malheur au dessus de celui que j’éprouvais, la perte de mon époux chéri ! Je passais les nuits dans des angoisses mortelles, toujours prête à réveiller du monde s’il survenoit une attaque, car il falloit alors quatre personnes pour le remuer et le placer convenablement dans son lit. Revenoit-il à la connoissance, c’était des scènes déchirantes, mais d’une autre nature, et qui prenoient leur source tantôt dans la reconnoissance de mes soins pour lui ; tantôt dans des sentimens religieux. Ce qui suit, pris parmi bien d’autres souvenirs, donnera une idée des tourmens, des supplices que j’éprouvais.
Une nuit à la suite d’une crise violente, il fit retirer tout le monde à l’exception de ma nièce qui avait voulu passer cette nuit là avec moi, auprès de son oncle, il nous