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point cassé le jugement de Pascal. Et la maxime qui justifie les moyens par la fin ; la duplicité savante qui permet de mentir en faisant semblant de dire la vérité ; la casuistique, qui réduit en règles ce qui n’en comporte pas et tue l’esprit par la lettre ; la complaisance qui appelle bien ou déclare permis ce qui est mal, sous prétexte que les hommes répugnent à s’en détacher ; le formalisme, qui dispense les hommes du devoir d’amour et de piété intérieure ; la religion comme instrument de domination ; l’habileté et la politique, comme moyens de travailler à l’avènement du royaume de Dieu, sont demeurés des objets d’aversion pour les âmes religieuses et délicates. Certes les critiques de détail ont été prodiguées aux Provinciales. On a contesté l’exactitude de telle citation, l’interprétation de telle formule théologique, l’attribution à l’ordre entier des assertions de quelques membres. Et, Pascal eût-il été plus fort théologien, la discussion, sans doute, serait toujours possible. Mais ce qu’il a condamné reste condamné, non seulement dans le ciel, mais sur la terre même.

Aujourd’hui, l’esprit d’analyse domine. On est moins disposé à chercher dans Pascal des armes ou des arguments en faveur de telle ou telle doctrine qu’à l’étudier sans parti pris, de manière à se faire une juste idée de ce qu’il a été véritablement. C’est avec Sainte-Beuve et Ernest Havet, lequel publia en 1852 sa première édition des Pensées, que commencèrent ces recherches vraiment historiques. Sainte-Beuve, toutefois, si érudit, si souple, curieux et pénétrant, est encore hanté par l’idée d’un Pascal romantique, qui n’aurait jamais plus douté que dans