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tibles, qui ne peuvent s’accorder qu’en se limitant l’une l’autre. Ils coexistent sans se diminuer réciproquement ; ils sont, dans le fond, intimement unis : c’est notre entendement seul qui les sépare. La grâce elle-même fait que nous coopérons librement avec elle dans l’œuvre de notre salut.

Si ceux qu’on appelle jansénistes admettent ainsi la coopération du libre arbitre, d’où vient l’obstination des jésuites à leur faire avouer que des propositions qu’ils condamnent se trouvent dans Jansénius ? Cette conduite encore est une tactique. Les jésuites se proposent d’abolir la grâce efficace de saint Augustin et de la doctrine chrétienne, qui les convainc d’impiété et de paganisme. Mais ils n’osent s’attaquer ouvertement à saint Augustin lui-même. Ils divisent la difficulté. Ayant remarqué que la grâce de saint Augustin fait le fond du livre de Jansénius, ils forgent, au moyen d’extraits de ce livre, des propositions dont le sens apparent est hérétique ; et, sans prouver que Jansénius les ait prises en ce sens, ils demandent que l’on signe la condamnation du livre. Cette condamnation une fois reconnue, ils n’auront pas de peine à montrer que la grâce que soutient Jansénius est vraiment la grâce de saint Augustin ; et celle-ci tombera avec son défenseur. Cependant l’Assemblée du clergé de France, ayant reçu le 17 mars 1657 la bulle d’Alexandre VII, peu avant que Pascal publiât la dix-huitième Provinciale, rédigea un formulaire condamnant Jansénius, que devaient signer les ecclésiastiques. L’anxiété dont on fut saisi à Port-Royal touche Pascal, qui prit la plume pour écrire une dix-