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tous les Esprits doit composer la Cité de Dieu[1] c’est-à-dire le plus parfait État qui soit possible sous le plus parfait des Monarques (§ 146. Abrégé object.).

86. Cette Cité de Dieu, cette Monarchie véritablement universelle, est un Monde Moral, dans le monde Naturel, et ce qu’il y a de plus élevé et de plus divin dans les ouvrages de Dieu et c’est en lui que consiste véritablement la gloire de Dieu[2] puisqu’il n’y en aurait point, si sa grandeur et sa bonté n’étaient pas connues et admirées par les esprits, c’est aussi par rapport à cette Cité divine qu’il a proprement de la Bonté[3], au lieu que sa sagesse et sa puissance se montrent partout.

  1. Leibnitz reprend, en la transformant de manière à l’adapter à son système, la conception augustinienne des deux cités, la cité de Dieu et la cité du monde. Mais tandis que, chez saint Augustin, la cité de Dieu m’était autre que l’Église chrétienne, considérée dans ses antécédents, dans sa fondation et dans son développement, chez Leibnitz c’est simplement l’établissement d’un ordre moral au sein de l’ordre physique. De même que, lors de la création, une première sélection a été opérée par Dieu parmi les possibles de même, par l’action des créatures elles-mêmes, une seconde sélection s’opère, sous l’œil de Dieu, au soin du monde actuel ; les créatures les plus capables de perfection usent avec adresse et persévérance de toutes les forces dont elles disposent, pour diminuer la part du mal dans l’univers et peu à peu s’organise et se constitue un monde plus parfait que le premier, plus digne de la société du créateur. Ce monde, d’ailleurs, était en germe dans le premier. Dieu en avait proposé l’éclosion comme terme et comme récompense aux efforts des créatures raisonnables.
  2. Langage théologique, sur lequel Leibnitz, selon sa coutume, greffe un sens nouveau et philosophique. La gloire de Dieu, selon l’Écriture, outre qu’elle est quelque chose de tout surnaturel et mystérieux, apparaît comme inhérente à Dieu même, bien loin de consister dans ses ouvrages même les plus parfaits. Les élus, est-il dit, contemplent, racontent, bénissent la gloire de Dieu ; les fidèles font tout pour la gloire de Dieu ; la gloire de Dieu est manifestée par son nom, par sa majesté, par ses œuvres.
  3. Leibnitz s’approprie en la transformant la doctrine théologique de la « complaisance » de Dieu relativement à Jésus-Christ et à sou Église. Οὕτος ἐστιν ὀ υῖος μου ὀ ἀγαπητός, dit la voix qui sort de la nue pendant la transfiguration, ἐν ὢ ηὐδόκησα (Matt., xvii, 5).