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67. Chaque portion de la matière peut être conçue, comme un jardin plein de plantes, et comme un étang plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre de l’animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin, ou un tel étang.

68. Et quoique la terre et l’air interceptés entre les plantes du jardin, ou l’eau interceptée entre les poissons de l’étang, ne soit point plante, ni poisson ; ils en contiennent pourtant encore, mais le plus souvent d’une subtilité à nous imperceptible[1].

69. Ainsi il n’y a rien d’inculte, de stérile, de mort dans l’univers, point de chaos, point de confusion qu’en apparence ; à peu près comme il en paraîtrait dans un étang à une distance dans laquelle on verrait un mouvement confus et grouillement, pour ainsi dire, de poissons de l’étang, sans discerner les poissons mêmes (Préf.*** 5, b**** 6[2]).

70. On voit par là, que chaque corps vivant a une entéléchie dominante qui est l’Âme dans l’animal mais les membres de ce corps vivant sont pleins d’autres vivants, plantes, animaux, dont chacun a encore son entéléchie, ou son âme dominante.

71. Mais il ne faut point s’imaginer avec quelques-uns, qui avaient mal pris ma pensée, que chaque âme a une

  1. Ces idées ont sans doute été suggérées à Leibnitz par les découvertes dues à l’emploi du microscope, lequel ne datait guère que du commencement du siècle. Leibnitz avait été particulièrement frappé, comme nous le verrons plus bas (§ 74), de la découverte d’organismes vivants au sein de la liqueur spermatique, faite par Leuwenhœck à l’aide de cet instrument. Mais il ne faut pas oublier que sa théorie toute philosophique des petites perceptions éléments des grandes devait le prédisposer à considérer l’organisation comme subsistant indéfiniment dans les corps, si loin qu’on en pousse la résolution.
  2. Éd. Erdm., p. 475 b ; p. 477 b.