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stance simple originaire, dont toutes les Monades créées ou dérivatives sont des productions, et naissent, pour ainsi dire, par des Fulgurations[1] continuelles de la

  1. « Fulgurations », c’est-à-dire émanations soudaines. Leibnitz dit ailleurs (De rerum originatione, éd. Erdm., p. 148 b) Patet ab hac fonte res existentes continue promanare ac produci productasque esse, cum non appareat cur unus status mundi magis quam alius, hesternus magis quam hodiernus ab ipso fluat. Avant la création, les choses ont déjà un commencement d’existence, à l’état de possibles, dans l’entendement divin. Non seulement ces possibles se distinguent du néant, puisqu’ils ont une essence et offrent une matière à l’intelligence, mais encore ils sont plus que de pures réceptivités. Chacun d’eux tend à exister, c’est-à-dire est déjà, bien que dans une mesure infiniment petite, en voie de développement. Mais, livrés à eux-mêmes, les possibles ne dépasseront jamais ce minimum de développement. Si l’on fait abstraction de l’estimation et du choix divins, ils se valent tous ; et, comme il est impossible que tous se développent parce qu’il en est d’incompatibles, aucun ne se développera. Un effort impuissant pour exister, telle est leur condition initiale. L’action créatrice de Dieu consiste à prêter assistance à certains possibles, de préférence aux autres, de telle façon que ceux-là se développent, s’épanouissent, réalisent ce qui était en eux à l’état de virtualité. C’est une « production », ou allongement, comme celui d’un rayon qui jaillit d’une source de lumière. C’est une sorte d’émanation, car les possibles qui préexistaient dans l’entendement divin ne s’en distinguaient pas substantiellement et tiraient de lui toute leur réalité. Il y a plus. Sans doute, cette création n’est pas brusque et miraculeusement renouvelée à chaque moment, comme dans le système cartésien de la création continuée. Car, ni les possibles, à l’origine, n’étaient indifférents à l’existence puisqu’au contraire ils l’appelaient, ni la création ne se poursuit arbitrairement dans le temps, puisqu’au contraire elle développe chaque possible suivant sa nature et ainsi obéit à des lois. La conservation est naturelle, sinon nécessaire, et première création elle-même a été l’effet d’une nécessité de convenance, sinon d’une nécessité géométrique. Il n’en reste pas moins qu’une créature ne continuerait pas d’exister, si Dieu ne continuait d’agir, et que l’action par laquelle Dieu la conserve ne saurait différer en rien de l’action par laquelle il l’a proprement créée. C’est pourquoi cette « fulguration » divine, qui fait luire et exister les formes cachées dans la nuit des possibles, se renouvelle de moment en moment et la continuité de l’existence d’une chose n’est que la série continue des actions divines au sein de cette chose même Voy. (sup., p. 85).