Page:Boutroux - La Monadologie.djvu/153

Cette page a été validée par deux contributeurs.

point par leurs qualités ; il n’y aurait pas de moyen de s’apercevoir d’aucun changement dans les choses ; puisque ce qui est dans le composé ne peut venir que des ingrédients simples ; et les Monades étant sans qualités, seraient indistinguables l’une de l’autre, puisqu’aussi bien elles ne diffèrent point en quantité : et par conséquent le plein étant supposé, chaque lieu ne recevrait toujours, dans le mouvement, que l’Équivalent de ce qu’il avait eu, et un état des choses serait indiscernable de l’autre.

9. Il faut même, que chaque Monade soit différente de chaque autre. Car il n’y a jamais dans la nature, deux Êtres, qui soient parfaitement l’un comme l’autre et où il ne soit possible de trouver une différence interne, ou fondée sur une dénomination intrinsèque[1].


    chose de distingué, qui offre une matière à l’entendement ; et la quantité, en elle-même, ne comporte rien de tel. Seule, la qualité ou dénomination intrinsèque peut fonder l’être, ainsi défini ; et la qualité n’est vraiment telle qu’autant qu’elle consiste dans l’action spirituelle, ou tendance à la perception distincte. Que s’il existe des différences quantitatives, ces différences sont fondées sur des différences qualitatives (V. sup., p. 43). — Immédiatement après cette phrase, Leibnitz avait primitivement écrit : Et si les substances simples étaient des riens, les composés seraient réduits à rien. Il a biffé cette phrase quelque peu banale, pour y substituer le développement, tout leibnitien, que l’on lit ici.

  1. C’est ce qu’on appelle le principe de indiscernables. Leibnitz considère comme indiscernable pour l’entendement, par suite comme formant en réalité une seule et même chose, deux natures qui n’auraient entre elles que des différences quantitatives, sans une seule différence qualitative et interne. Ainsi une durée vide de cent ans ou une durée vide de mille ans ne sont qu’une seule et même durée, ou plutôt ne représentent que le concept abstrait de durée, sans aucune détermination véritable. La durée ne peut être déterminée que par les événements qui la fondent. Kant, au contraire, admettra que de simples différences quantitatives peuvent déjà fonder la distinction des êtres, par exemple dans les figures symétriques. Il partira de là pour attribuer à la quantité, à l’espace et au temps, la réalité distincte que leur refusait Leibnitz. Pour lui l’intuition et le concept seront irréductibles l’un à l’autre.