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sont légèrement ébréchés, reprennent leur forme dans une dissolution saline convenable, aux dépens de cette dissolution même.

Enfin les cellules se combinent et forment des systèmes : ainsi des gouttelettes de mercure se confondent dans une goutte totale.

Il semble donc qu’il n’y ait, entre le monde vivant et le monde physique, qu’une différence de degré : une plus grande diversité dans les éléments, une plus grande puissance de différenciation, des combinaisons plus complexes.

L’observation des êtres vivants, considérés au point de vue de leur nature actuelle, confirme-t-elle de tout point ces inductions fondées sur leur genèse ?

Une chose est d’abord remarquable, c’est que si, dans le monde mathématique, la matière mobile semblait, au premier abord, posée avant le mouvement, et, dans le monde physique, en même temps que lui ; ici les apparences elles-mêmes nous montrent le mouvement comme posé avant la matière correspondante, le changement comme précédant l’être, le travail organisateur comme précédant l’organisme. Le « mot vie », signifie avant tout « mouvement automatique ». L’être vivant se transforme continuellement : il se nourrit, se développe, engendre d’autres êtres ; il est d’une instabilité, d’une flexibilité singulière. Une vapeur, une goutte d’eau menace son existence ; or il se modifie lui-même en tous sens, il fait mille manœuvres pour passer sans encombre, s’il est possible, entre les innombrables écueils dont sa route est semée. Il y a une disproportion frappante, chez l’être vivant, entre le rôle de la fonction et celui de la matière, quelle que soit d’ailleurs l’origine de la fonction. La vie, même avec un nombre d’éléments plus restreint que celui qu’exploite la force physique, produit des œuvres bien autrement puissantes, puisqu’un brin d’herbe peut percer un rocher.