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serve tout ce qu’il renfermait de lumière qu’en se colorant de mille nuances diverses.

Ainsi entendu, le concept des qualités hétérogènes présente sans doute les caractères d’un concept à priori. Mais il ne fait nullement comprendre pourquoi les formes de la matière se ramènent à un petit nombre de classes telles que le son, la chaleur, ou les espèces chimiques, au lieu d’être en nombre infini. De plus, il fait supposer que tout ce qui est dans le temps revêt, par là même, une forme physique, ce qui n’est nullement certain.

La définition scientifique des corps n’implique pas ces idées métaphysiques : elle contient simplement l’idée de choses matérielles hétérogènes qui tombent sous les sens, et ainsi elle ne dépasse nullement la portée de l’expérience.

Dira-t-on que, dans la définition des corps, les qualités sensibles ne sont pas considérées comme de purs phénomènes, mais comme des propriétés, c’est-à-dire comme des causes génératrices, et que de telles essences ont un caractère suprasensible ?

Mais ce serait s’écarter de l’acception scientifique des termes « propriétés, affinités, cohésion », etc. Ces expressions ne signifient rien autre chose, sinon l’uniformité avec laquelle, certaines sensations nous étant données, certaines autres nous sont données également. Une propriété n’est jamais qu’une relation observable entre deux groupes de phénomènes.

Le passage des propriétés mathématiques aux propriétés physiques, de la matière aux corps, ne peut donc être considéré à priori comme imposé aux choses. Mais les choses elles-mêmes ne nous présentent-elles pas cette synthèse comme nécessaire en fait ? Ne peut-on dire, par exemple, que, vraisemblablement, tout ce qui est possède des propriétés physiques ?