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présentent les choses réelles. Elle considère la notion en général sous la forme la plus précise que puisse lui donner l’expérience modifiée par l’abstraction, et elle en déduit les propriétés suivant une méthode appropriée à l’entendement, c’est-à-dire sous l’idée de la permanence de cette notion elle-même. Elle développe le système des lois qui s’appliquent à des notions quelconques mises en rapport les unes avec les autres, à supposer que ces notions demeurent identiques. Elle forme des cadres dans lesquels l’expérience est appelée à mettre un contenu, au risque même de les élargir et de les briser. Si elle présente une haute certitude pratique, c’est qu’elle développe un concept extrêmement simple, qui est comme le type moyen d’une infinité d’expériences, et qu’ainsi ses définitions de mots sont presque des définitions de choses. C’est ainsi qu’en statistique la probabilité est de plus en plus voisine de la certitude, à mesure que la base de l’observation est plus étendue ; car alors les particularités s’annulent de plus en plus les unes les autres, pour laisser le fait général se dégager dans toute sa pureté. Mais la logique trahirait la science au lieu de la servir, si, après avoir, pour la commodité de l’esprit humain, achevé artificiellement la cristallisation ébauchée par l’expérience et donné à la forme générique une rigidité de contours que ne lui imposait pas la nature, elle prétendait ensuite ériger cette abstraction en vérité absolue et en principe créateur de la réalité qui lui a donné naissance. Les lois sont le lit où passe le torrent des faits : ils l’ont creusé, bien qu’ils le suivent. Ainsi le caractère impératif des formules de la logique, bien qu’il soit pratiquement justifié, n’est qu’une apparence. En réalité, les rapports logiques objectifs ne précèdent pas les choses : ils en dérivent ; et ils pourraient varier, si les choses elles-mêmes venaient à varier, en ce qui concerne leurs ressemblances et leurs différences fondamentales.