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Il est donc impossible de ramener les rapports particuliers à la formule A = A, c’est-à-dire de parvenir, par l’analyse, à la démonstration d’une nécessité radicale. L’analyse, le syllogisme, ne démontrent que la nécessité dérivée, c’est-à-dire l’impossibilité que telle chose soit fausse, si telle autre chose est admise comme vraie.

Le vice de l’analyse, en tant qu’elle prétend se suffire à elle-même, c’est de ne comporter, comme explication dernière, qu’une proposition identique, et de ne pouvoir ramener à une telle formule les propositions qu’il s’agit d’expliquer. Elle n’est féconde que si une proposition identique, assemblage d’éléments hétérogènes, lui est fournie comme point de départ ; elle ne démontre la nécessité que si elle développe une synthèse nécessaire. Existe-t-il de telles synthèses ?

L’expérience, qui ne fournit aucune connaissance universelle dans l’espace et dans le temps, et qui fait seulement connaître les rapports extérieurs des choses, peut bien nous révéler des liaisons constantes, mais non des liaisons nécessaires. Il faut donc, avant tout, qu’une synthèse soit connue à priori pour qu’elle soit susceptible d’être nécessaire. Peut-être, il est vrai, resterait-il à savoir si une telle synthèse est nécessaire au point de vue des choses, comme elle l’est pour notre esprit. Mais d’abord il suffit qu’elle le soit pour notre esprit, pour qu’il n’y ait pas lieu d’en discuter la réalité objective, cette discussion ne se pouvant faire que suivant les lois de l’esprit. Si par hasard le cours des choses ne se conformait pas exactement aux principes posés à priori par l’esprit, il en faudrait conclure, non que l’esprit se trompe, mais que la matière trahit sa participation au non-être par un reste de rébellion contre l’ordre.

À quel signe peut-on reconnaître qu’un jugement est à priori ?