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tifier Dieu avec la nécessité absolue, qui ne suppose rien avant elle. Cette idée, qui, en définitive, se confond avec celle du néant, est si vide qu’à vrai dire elle n’explique rien. Il faut se résigner à mettre dans l’idée de Dieu un principe inexplicable ; et ce principe, pour être fécond, doit être synthétique. À tout le moins voudrait-on réduire au minimum ce que l’on prend pour accordé ; et l’on essaye de définir Dieu « l’Être » ou « le genre suprême ». Mais ces concepts, bien qu’ils expliquent déjà quelque chose, sont encore beaucoup trop pauvres pour expliquer l’univers. On croit faire assez grande la part de l’insondable en attribuant à Dieu, comme éléments irréductibles, l’étendue et la force, c’est-à-dire en l’identifiant avec la matière. Mais la matière est encore impuissante à tout expliquer. Ajouter à ces attributs, à titre de nouveaux postulata, les forces physiques et chimiques, la vie et même la conscience humaine, c’est sans doute obtenir une idée de Dieu de plus en plus riche, et, par suite, de plus en plus féconde ; mais ce n’est pas encore concevoir un Dieu propre à tout expliquer ; car la nature et les lois des corps, des êtres vivants et de la conscience humaine ne sont pas immuables et ne rendent pas compte elles-mêmes des changements qu’elles comportent. Faut-il imaginer, comme dernier postulat, une synthèse irréductible qui comprendrait, non seulement tous les attributs essentiels des choses connues, mais encore tous les attributs essentiels des choses inconnues et des choses possibles ? Une telle synthèse serait une conception arbitraire, parce qu’il n’y a pas de raison pour que l’échelle des attributs ait un terme. Les synthèses qui, comme celles auxquelles aboutit la science, se constituent par l’organisation hiérarchique d’une multiplicité, peuvent se compliquer indéfiniment sans jamais atteindre à une forme suprême. De plus, ces formules n’expliqueront jamais tout, parce qu’elles