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cessaire d’avoir agi ou du moins essayé d’agir, puisque, selon la conscience morale, le bien possible est obligatoire.

Telles sont les objets métaphysiques que la doctrine de la contingence rend possibles ; et, à ce titre, elle apparaît comme propice aux croyances de la conscience humaine. Mais, par elle-même, elle est impuissante à ériger ces possibilités en réalité, parce que la liberté, qui en est le fond, et dont la contingence des choses est ici considérée comme le signe extérieur, n’est pas et ne peut pas être donnée dans l’expérience, soit directement, soit indirectement. L’expérience ne saisit que les choses actuellement réalisées. Or il s’agit ici d’une puissance créatrice, antérieure à l’acte.

Toutefois l’expérience elle-même, en établissant le caractère contingent de tout ce qu’elle nous fait connaître, et en laissant cette contingence inexpliquée, nous invite à chercher s’il n’existerait pas quelque autre source de connaissance, propre à nous en fournir la raison. Et, en nous montrant que les diverses parties du monde, bien que contingentes dans leur existence et leurs lois, présentent un certain ordre qui retrouve en beauté ce qu’il perd en uniformité, elle nous fait pressentir la nature supérieure des êtres qui se révèlent à nos sens par leurs manifestations. Enfin, comme il faut que ces êtres supérieurs, pour que leur intervention puisse expliquer la contingence des phénomènes, ne vivent pas à part, sans rapport direct avec le monde de l’expérience, ou en se bornant à intervenir plus ou moins rarement dans le cours des choses, mais soient les auteurs immédiats de chaque phénomène, exempt, en définitive, de toute dépendance réelle à l’égard des phénomènes concomitants : il est impossible d’admettre que la connaissance du monde, telle que la peuvent donner les sens et l’entendement, c’est-à-dire la connaissance des phé-