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formes, implique, au fond, cette indétermination qualitative qui est l’indétermination véritable ; mais, à mesure qu’on pénètre plus avant dans la réalité, on voit croître la détermination qualitative, et, avec elle, la valeur, le mérite et l’ordre véritable, proportionnellement à la décroissance même de l’ordre abstrait et fatal. Peut-on, dès lors, assimiler au hasard l’âme invisible et présente qui fait mouvoir les ressorts du monde ?

Mais, pour offrir peut-être un intérêt esthétique, la doctrine de la contingence ne porte-t-elle pas atteinte aux sciences positives ?

Il est vrai qu’elle réduit à une valeur abstraite les sciences exclusivement fondées sur le principe de la conservation de l’être, c’est-à-dire exclusivement statiques. Mais ces sciences ne semblent, en somme, avoir d’autre rôle que de déduire les conséquences de conditions posées, dans l’hypothèse où ces conditions seraient exactement déterminées et où la quantité d’être ne subirait aucune variation : elles ne prétendent pas, en elles-mêmes, être exactement conformes à la réalité objective. Sans doute, si toute science devait rentrer dans les sciences statiques, la doctrine de la contingence infirmerait la valeur des sciences positives. Mais, s’il est légitime de constituer des sciences dynamiques, à côté et au-dessus des sciences statiques ; si la science objective consiste précisément dans ces sciences supérieures, la doctrine de la contingence est conforme aux conditions de la science. Seulement, cette doctrine impose l’observation et l’expérience comme méthode constamment indispensable des sciences dynamiques, des sciences de l’être. S’il est vrai, en effet, qu’à côté d’un principe de conservation il y ait un principe de changement contingent, l’abandon de l’expérience est toujours dangereux, toujours illégitime. L’expérience désormais n’est plus une pensée confuse, point de dé-