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de faits, empruntés même à l’observation des infusoires et des plantes. Le polype d’eau douce, par exemple, attire à lui les infusoires vivants et les végétaux, en produisant avec ses bras une sorte de tourbillon, et laisse de côté les êtres morts ou inorganiques. On voit des plantes choisir, semble-t-il, des points d’appui, frémir sous l’attouchement des insectes et les saisir. Mille faits de ce genre semblent prouver que, dans les organismes les plus élémentaires, l’action du dehors peut produire une excitation interne, et que cette excitation peut engendrer un mouvement réflexe adapté aux besoins de l’être vivant. Or l’excitation et le choix du parti convenable ne sont-ils pas des signes de conscience ?

Il est douteux que l’excitation et le mouvement réflexe soient toujours accompagnés de conscience : car il se produit en nous beaucoup d’excitations et d’actions réflexes qui ne passent pas par le moi. Quant à la convenance de l’acte, elle constitue ce qu’on appelle la finalité. Or la finalité, en admettant que, dans les faits allégués, elle ne se ramène pas au mécanisme, suppose-t-elle nécessairement la conscience chez l’être en qui elle se manifeste ? Avons-nous conscience de l’acte par lequel la constitution physique, chimique et physiologique de nos organes s’adapte aux fonctions qu’ils doivent remplir ?

Mais, dira-t-on, le genre de conscience qui paraît absent des fonctions physiologiques consiste dans la distinction claire du sujet et de l’objet. Or cette manière d’entendre la conscience est trop étroite. La conscience comporte une infinité de degrés, depuis l’état parfait qui caractérise la vie réfléchie jusqu’à l’abolition apparente qui se produit dans le sommeil. D’ordinaire le réveil ne trouve pas notre esprit vide, mais occupé d’idées plus ou moins différentes de celles qui l’occupaient la veille. L’attention, l’accumulation rendent distinctes des perceptions d’abord insensibles. Ce qui,