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création n’est pas arbitraire, mais a lieu, grâce aux ressources de l’esprit, à propos et en vue de l’expérience. Tantôt l’esprit part d’intuitions qu’il crée librement, tantôt, procédant par élimination, il recueille les axiomes qui lui ont paru le plus propres à engendrer un développement fécond et exempt de contradictions. Les mathématiques sont ainsi une adaptation volontaire et intelligente de la pensée aux choses ; elles représentent les formes qui permettront de surmonter la diversité qualitative, les moules dans lesquels la réalité devra entrer pour devenir aussi intelligible que possible.

Telle est la nature et le degré d’intelligibilité des lois mathématiques. Que s’ensuit-il, en ce qui concerne leur objectivité ? Pour Descartes, les mathématiques sont réalisées telles quelles au fond du monde sensible ; elles constituent la substance même des choses matérielles. Après Descartes, ce point de vue a été de plus en plus limité et contesté, et le positivisme d’Auguste Comte a résumé les résultats de la critique en professant que le supérieur ne se ramène pas à l’inférieur, et qu’à mesure qu’on veut rendre compte d’une réalité plus élevée, il faut introduire des lois nouvelles douées d’une spécificité propre et irréductibles aux précédentes.

Les lois mathématiques, considérées en elles-mémés, paraissent impropres à être réalisées, car elles impliquent le nombre infini ; or, un nombre infini actuel est chose absolument inconcevable. À cet écueil vient se briser tout système de réalisme mathématique.

Mais, dira l’idéaliste, ce qui rend la réalité du nombre infini inconcevable, c’est qu’on veut l’actualiser comme substance. Si l’esprit est la seule réalité, et si les choses ne sont que la projection et la représenta-