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Prédiction possible n’implique pas nécessité, puisque les actes libres peuvent la comporter. Ainsi nécessité et détermination sont choses distinctes. Notre science ne parvient pas à les fondre en une unité.

En résumé, d’une part les mathématiques ne sont nécessaires que par rapport à des postulats dont la nécessité est indémontrable, et ainsi leur nécessité n’est, en définitive, qu’hypothétique. D’autre part, l’application des mathématiques à la réalité n’est et semble ne pouvoir être qu’approximative. Qu’est-ce, dans ces conditions, que la doctrine du déterminisme ? C’est une généralisation et un passage à limite. Certaines sciences concrètes approchent de la rigueur mathématique : on suppose que toutes sont appelées à acquérir la même perfection. La distance qui sépare du but peut être diminuée de plus en plus : on suppose qu’elle peut devenir nulle. Mais cette généralisation est une vue théorique. En fait, la distance entre les mathématiques et la réalité n’est pas près d’être comblée ; et, si elle diminue, le nombre des intermédiaires qu’il faudrait intercaler pour opérer la jonction apparaît de plus en plus comme infini. Historiquement, c’est à l’ignorance de cette incommensurabilité du réel et du mathématique qu’est due l’idée de réduire le réel au mathématique ; l’ignorance, cette fois, a eu d’heureux effets ; car on ne se fût pas élancé avec tant d’ardeur vers un but que l’on eût connu comme inaccessible. La mise en œuvre de l’idée cartésienne, en même temps qu’elle en a montré la fécondité, a transformé en idéal transcendant ce qui pour Descartes était un principe et un point de départ.

Que si maintenant nous confrontons avec la forme actuelle de la science le témoignage de la conscience en faveur de la liberté, nous trouverons ce témoignage [142] beaucoup plus recevable