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réunit les idées simples que cette action du dehors lui fournit. Que valent, cependant, des lois fabriquées ainsi par les facultés humaines ? À quelle universalité peuvent-elles prétendre ? Hume intervient, et explique que nous possédons au fond de nous-mêmes la propriété de joindre ensemble les idées des phénomènes suivant des rapports de ressemblance, de contiguïté et de causalité. En ce qui concerne la causalité, qui, d’elle-même, ne s’imposerait nullement à nous, l’habitude vient remplacer l’intuition manquante, rendre l’association pratiquement indissoluble, et nous porter ainsi à considérer les lois de la nature comme réellement universelles et nécessaires.

Et ainsi, de même que l’intellectualisme a dû, pour embrasser la réalité, élargir et peut-être fausser son principe, de même l’empirisme, pour parvenir à l’universalité, s’est vu contraint de s’écarter de sa direction première, soit en admettant, avec Locke, des facultés de l’âme irréductibles à l’expérience, soit en faisant résulter, à la manière de Hume, les lois extérieures de lois internes, de puissances innées.

Il semble donc qu’il soit bien difficile à l’esprit humain de concevoir les lois de la nature à la fois comme universelles et comme réelles. Quand nous nous expliquons l’universalité, la réalité nous échappe, et réciproquement. Faut-il donc rapprocher purement et simplement le rationalisme et l’empirisme ? Le rapprochement de ces deux points de vue opposés ne donnera qu’une juxtaposition et non une synthèse. Or, ce qui, pour la philosophie, n’était qu’un idéal et un problème, la science l’a réalisé. Elle a su allier les mathématiques et l’expérience, et fournir des lois à la fois concrètes et intelligibles. La méthode qu’elle a suivie a consisté à cher-