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supposent que les hommes, à l’état de nature, possédaient, comme des droits imprescriptibles, la liberté et la propriété. De ces droits les gouvernements les ont plus ou moins dépouillés, sous prétexte qu’il y aurait incompatibilité entre la liberté individuelle et l’intérêt public. Les Economistes se proposent de montrer que, selon les lois de la nature, l’intérêt privé et l’intérêt public, loin de se contrarier, se supposent. Voilà donc l’idée de loi naturelle entrée dans la science sociale ; mais les publicistes dont nous venons de parler ont posé d’avance, selon leurs désirs, les lois qu’ils veulent découvrir dans le cours naturel des choses.

C’est Auguste Comte qui le premier dégagea nettement l’idée d’une sociologie analogue aux autres sciences. Pour lui, une loi sociale n’est plus l’expression d’un vœu, mais l’expression de faits observés avec impartialité. Mais la société conserve, aux yeux de Comte, une nature propre, irréductible aux formes inférieures de l’être. Pour H. Spencer, au contraire, la société humaine n’est qu’un cas particulier de la société animale. Pourquoi, toutefois, Spencer maintient-il l’individualisme comme fin de la société ? N’est-ce pas qu’il fait trop vite succéder la synthèse à l’analyse, et qu’il est sous l’empire de préférences personnelles ? Plusieurs soutiennent aujourd’hui que la véritable méthode est d’étudier les menus faits avec impartialité, d’en dégager les lois suivant les règles générales de l’induction et de ne s’élever que peu à peu aux vues d’ensemble. C’est l’achèvement de la troisième conception : la société considérée comme œuvre naturelle, à l’exclusion complète de l’art.

Examinons l’idée de loi sociologique telle qu’elle se dégage de cette évolution, et demandons-nous si elle [128]