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devra être considérée sous le point de vue de l’étendue. S’il s’agit de l’essence de l’âme, cette condition est irréalisable. Mais, outre la pensée et l’étendue, Descartes admet, comme réalité irréductible, l’union de l’âme et du corps. De cette union résultent, dans l’âme, des modes accidentels qui ont rapport à l’étendue, qui peuvent être envisagés du point de vue de l’étendue. La connaissance de ces modes peut être scientifique dans le même sens que la connaissance des phénomènes sensibles. Cette connaissance se rapporte à la physiologie, laquelle n’est qu’une complication de la physique.

La conception cartésienne est très nette, mais elle engendre des difficultés qui furent vite aperçues. D’abord elle soustrait à la science proprement dite, sous le nom de pensée pure, une part considérable de la vie psychique. Ensuite elle soulève la question de savoir de quel droit on substitue au phénomène psychique proprement dit, c’est-à-dire à la modification dont nous avons conscience, un phénomène extérieur entièrement hétérogène. Pour résoudre cette difficulté, il ne faut rien moins que toute la métaphysique cartésienne, aboutissant à la confiance en la véracité divine. C’est à ce problème des rapports de l’âme et du corps, impliqué dans la prétention de faire de celui-ci la mesure de celle-là, que répondent les savantes, mais transcendantes hypothèses des causes occasionnelles, de l’unité de substance, de l’harmonie préétablie. La science y est justifiée, mais, en définitive, par la croyance. Ainsi la correspondance que le cartésianisme postule n’a pu être ni définie, ni démontrée rigoureusement ; elle est restée suspendue au Dieu, principe commun de l’âme et du corps, auquel Descartes avait fait appel. Mais, en même temps que les Cartésiens s’épuisaient [106]