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Il n'est pas nécessaire de recourir aux écrits de Descartes spécialement consacrés à la morale pour voir ce qu'une telle interprétation aurait d'étroit et d'incomplet. D'une manière générale, ce n'est pas la science qui est le centre de la philosophie cartésienne, c'est l'homme, et, dans l'homme, la raison. Déjà quand il cultive les sciences de la nature, ce n'est pas la science même que le philosophe a en vue, c'est la formation du jugement par la science. Le jugement est la capacité de discerner en toutes choses, sans hésitation ni incertitude, le vrai d'avec le faux. Or pour y parvenir il faut que nous développions en nous une sorte de sens de la vérité. Les mathématiques, et en particulier l'algèbre, y contribuent merveilleusement . En accoutumant notre esprit à se repaître de vérités et à ne se contenter point de fausses raisons, elles le font sortir de son indifférence naturelle et le déterminent dans le sens de sa perfection. C'est cette culture de l'esprit, non la connaissance de vérités particulières, qui fait la véritable utilité des sciences . Elles ne se peuvent détacher de la raison comme le fruit se détache de l'arbre. Elles ont dans la raison et leur principe et leur fin.

Mais Descartes ne se borne pas à dresser sa raison mécaniquement par l'exercice et l'habitude. Il emploie la force intellectuelle ainsi acquise à étudier la nature de la raison elle-même, à en analyser le contenu, à en