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DESCARTES

de la pensée ? Tel est le nœud de la philosophie cartésienne. Or ce problème de l’existence présidera, aux recherches de Locke, de Hume, de Reid et de Kant, comme à celles de Malebranche, de Spinoza et de Leibnitz. L’existence, qui, pour les anciens, était chose donnée et immédiatement saisissable, qu’il ne s’agissait que d’analyser, est ici un objet éloigné, où il s’agit d’atteindre, si tant est qu’il soit possible d’y atteindre. Là réside le caractère distinctif de la philosophie moderne comparée à la philosophie antique et ce caractère, c’est la marque cartésienne elle-même.

Non seulement le cartésianisme commande ainsi la marche de la philosophie moderne, mais il a une importance considérable dans l’histoire générale de l’esprit humain. Sans doute, notre xviie siècle puise, pour une large part, aux sources chrétiennes et aux sources classiques, mais la science s’y développe à côté de la littérature et la science, alors, c’est la conception cartésienne du monde c’est la mainmise du mécanisme mathématique sur tout ce qui n’est pas la pensée proprement dite, condition de ce mécanisme même. « Nature, écrit Huyghens lors de la mort de Descartes,

Nature, prends le deuil, et pleure la première
Le grand Descartes !…
Quand il perdit le jour, tu perdis la lumière :
Ce n’est qu’à sa clarté que nous t’avons su voir. »

Et lorsque Newton réformera le cartésianisme, ne sera-ce pas en se plaçant sur ce terrain même de la philoso-