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comme le principe même auquel il devrait sa naissance : l’intelligence sans matière ne crée que des idées. Dès lors, point de personnalité véritable dans les créatures. Si les uns sont bons et les autres mauvais, si les uns sont prédestinés à la félicité et les autres voués à la damnation, ce n’est pas parce qu’il y a dans les âmes des créatures des énergies vivantes et opposées : c’est parce qu’ainsi l’a voulu le Dieu transcendant aux volontés arbitraires. Idéalisme et fatalisme, telles sont les conséquences de la doctrine théiste.

Mais si Boehme écarte le théisme, ne sera-ce pas pour tomber dans le panthéisme ? Nous savons qu’il reconnaît en Dieu l’existence d’une nature. Ne sera-ce pas cette nature qui constituera le fonds de la nature visible ? Celle-ci peut-elle être autre chose qu’un développement de celle-là ; et ne faut-il pas dire, avec les panthéistes, que le monde est, sinon Dieu même, du moins le corps de la manifestation de Dieu ?

Une telle interprétation irait, à coup sûr, contre le dessein de Boehme, lequel se garde du panthéisme plus énergiquement encore que du théisme. Certes, dit-il, en un sens Dieu est tout, ciel et terre, esprit et monde ; car tout a sa source en lui. Mais que devient son immensité adorable, si le monde est la mesure de sa perfection ? Sans doute il a tiré le monde de sa force et de sa sagesse : mais il ne l’a pas formé afin de devenir lui-même plus parfait. Sa perfection est complète indépendamment de toute création. Dieu a formé le monde pour se manifester