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SOCRATE

pensée socratique, c’est un aveu d’ignorance touchant ce qui a précédé les dix dernières années environ de la carrière du philosophe. Grande est la tentation de chercher dans d’autres textes un moyen de remonter dans la vie de Socrate plus haut que ne le permettent les Mémorables. C’est ainsi que M. Fouillée a cru trouver, dans le célèbre texte du Phédon sur les premières réflexions philosophiques de Socrate[1] et dans la coïncidence de ce texte avec les Nuées d’Aristophane, la preuve qu’avant de s’adonner aux recherches morales Socrate aurait parcouru une première période, marquée par des spéculations sur la nature. Socrate, déçu de ce côté, se serait ensuite adressé à la morale pour résoudre le problème même de l’ancienne philosophie grecque, le problème de l’explication de l’univers. Mais outre que, d’un tel point de départ, les Mémorables ne contiennent pas la moindre trace, le récit que fait le Socrate du Phédon est en contradiction avec les déclarations formelles du Socrate de l’Apologie, affirmant[2] que jamais il ne s’est mêlé de physique. On objectera que le personnage de Socrate dans les Nuées doit reposer sur quelque fondement historique. Mais c’est justement à propos des Nuées que Socrate fait, dans l’Apologie, cette déclaration solennelle. On tranche, il est vrai, la question en écartant l’Apologie, sous prétexte que c’est un plaidoyer, et en alléguant que le texte

  1. Ch. xlv sqq.
  2. Ch. iii, p. 19 cd.