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la terreur en macédoine

dans la tête s’il est huit heures cinq ! Pas un mot, et en avant ! »

Trente secondes après, la locomotive siffle, souffle, renâcle et s’en va, roulant d’un train d’enfer. Marko s’est installé près du mécanicien. Crispé, les dents serrées, il regarde défiler les poteaux télégraphiques, tournoyer les champs et se dérouler cette fantasmagorie aperçue d’un train filant à toute vapeur.

Sa colère est terrible ! Une de ces colères froides qui ne désarment pas, s’exaspèrent de haine, s’alimentent d’orgueil déçu, de projets sanguinaires. Il n’a d’ailleurs aucune illusion ! Malgré les horreurs du massacre, il a éprouvé un échec complet.

Si la terreur plane sur la région entière, si les chrétiens s’enfuient éperdus, Joannès a échappé. Joannès, l’âme de cette révolte que Marko sent gronder, comme un torrent mal endigué, toujours prêt à rompre ses barrières.

De temps en temps, il tressaille, sort de sa torpeur, et s’écrie d’une voix rauque :

« Nous gagnons ?…

— Oui, Excellence !… Nous gagnons… nous arriverons ! »

Le train vide et trop léger saute, oscille et menace de jaillir hors des rails. Marko se cramponne, s’incruste à la plate-forme et voit grandir peu à peu un groupe de maisons. Les formes se précisent, les monuments apparaissent, les mosquées étincellent. C’est Prichtina. Il y a juste cinquante minutes que le train a quitté Koumanova.

« C’est bien ! dit Marko au mécanicien.

« Je double ta récompense… attends ici, sous vapeur… et prépare-toi à repartir… »