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d’un cinéma qu’une menace d’incendie venait de vider, j’avais prié l’homme à barbe blanche qui l’accompagnait de prendre mon imperméable pour la couvrir. Et c’est comme ça qu’on fait la connaissance de son beau-père et qu’on engage son existence. Parce que le feu avait pris dans un vestiaire nous étions devenus mari et femme comme pis-aller de la solution radicale qui aurait mêlé nos cendres si la flamme avait jailli ailleurs. Et le diable s’en était mêlé ; et même il nous avait couru après ; car il n’y a que son intervention pour expliquer l’étourderie bouffonne et sinistre qui me fit envelopper machinalement d’un imperméable une femme trempée. J’étais tombé au pouvoir d’un moi plus prompt qui avait agi en dessous, dans un royaume où tout se passe trop vite pour que notre humanité nous y suive.
Elle était si jolie que je n’avais pas su en la voyant empêcher ma vie de se jeter sur elle, de se noyer avec ses armes dans une nuit que son voisinage me couvrait de fleurs. On aurait dit qu’entre elle et moi, la livrant à sa mort par mes soins, il y avait quelqu’un qui me la prenait par les ailes, un être sans mesure avec l’espace et dont la figure de glace pour toujours regardait ailleurs à travers tout le bonheur. Toute l’horreur du monde pour lui-même, sa fuite, plus rapide que la pensée devant les formes de son