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partout où ma femme m’avait pris le bras, j’avais senti que la distance était la lumière de notre amour. Et quand j’avais dû lui dire au revoir, ce n’était pas vers elle que mon dernier regard s’était tourné, mais vers les acacias nains du perron, vers les murs roses de la villa qu’il fallait quitter pour un jour… Le monde est fait pour les amants. L’étendue a été créée pour qu’ils y soient comme des rois dans leur attente. Et c’est un point sur lequel nous devions être d’accord, M. Sureau et moi, puisqu’il allait prononcer les mots suivants :
« L’espace flotte sur le songe d’où nos regards nous ont tirés. Chacun naît de ses yeux… »
Je ne comprends pas encore comment j’ai osé le reprendre et je lui ai dit :
« Chacun naît de celle qu’il aime. »
Et lui :
« Chacun naît de son cœur dans les yeux de celle qu’il aime. »


Je venais à peine d’entendre ces mots que je vis avec étonnement M. Sureau pâlir. Même, sa lividité s’accentua tellement dans les premières secondes, que je m’attendis tout d’abord à le voir s’évanouir et que déjà, les bras prêts à recevoir son corps, je me précipitais vers lui quand il m’arrêta d’un geste impérieux avant de poursuivre :