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d’une personne lourde comme un meuble qui marcherait avec précaution. Le souvenir des lingeries féminines que j’avais aperçues se mêlait à cette impression de terreur qui devint beaucoup plus grande encore quand les yeux levés sur le visage de Monsieur Sureau, je vis que l’épouvante n’allait pas jusqu’à lui. L’homme étendu devant moi ne savait pas ce que c’était que la peur. Il n’y avait pas de place sur ses joues pour un frisson, ses lèvres étaient plus froides que ses dents. Avec la double ombre noire que la breloque d’argent plaquait sur sa face figée, il chassait de mon souvenir toutes les paroles que sa ressemblance avec un homme aurait pu m’inspirer ; et je devais lutter de toutes mes forces pour arrêter sur le chemin de mes lèvres un mot qui voulait régner sur le silence ténébreux de la drogue que je respirais ; et que je me répétais mentalement avec le même trouble que si je l’avais prononcé pour la première fois : « Ce n’est pas un homme, me disais-je, c’est un vampire. » Alors il m’est venu un peu de courage et je l’ai interrogé au hasard. Il me semblait qu’il détruisait avec son silence quelque chose de très précieux dont je n’étais qu’un reflet. Avec une lenteur calculée, il me répondait :


« On ne sait pas qu’on a sa vie dans le cœur, on