avec des yeux de paysan qui regarde pousser un
arbrisseau.
— Comme c’est curieux, lui dis-je. Cette sculpture
ne semble pas faite pour être vue. On dirait que
le regard s’envole pour la toucher, que ce marbre a
l’odeur et la légèreté des fleurs.
Monsieur Sureau prit le temps de sourire avant de
me répondre : « Ce n’est pas un morceau de marbre,
dit-il doucement, mais un miroir. »
Je l’écoutais avec inquiétude : il n’y avait plus assez
de lumière en ce monde pour me rendre clair ce
qu’il y voyait. Afin de détourner le cours de ses
pensées je lui demandai pourquoi il m’avait expédié
cette photographie.
— Pour rien, me répondit-il. Pour connaître l’impression
qu’elle ferait sur vous. Moi, aussitôt que
je contemple cet Apollon toute la lumière est en
perdition dans mon regard comme une tourterelle
dans les yeux d’un serpent. Je verrai bien si j’ai
eu tort de croire qu’il me sera facile de juger mon
trouble quand je vous l’aurai fait partager.
Je l’écoutais avec un peu d’agacement. Son attitude
était étudiée. Il soignait son langage, non par
goût, mais par routine, à la manière d’un écrivain
qui s’est habitué à fixer des inflexions de voix
dans les nuances du style. Jamais cependant ces
poétiques soins ne m’avaient paru autant coopérer
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