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qu’à moitié consciente. Une fois de plus je m’arrêtai ; et, d’instinct, mes yeux se posèrent en même temps sur une enseigne couleur de soufre où des cartes à jouer mêlées à des oiseaux des îles amusaient le goût que j’avais toujours eu des rapprochements insolites. C’était, pour ainsi dire, la peur de penser en vain qui m’avait accroché à cette épave de lueurs, l’horreur de perdre une parcelle de mon temps à poursuivre une idée qui se révélerait incapable peut-être, d’échanger un peu de sa vie avec la mienne. C’était fort clair : une fois de plus, je pleurais les minutes que je laissais s’écouler en dehors de moi et comme au hasard. C’était le moment d’examiner cette tendance : la conscience que je venais d’en avoir arrivait sûrement à son heure.


Il m’avait toujours paru scandaleux, incompréhensible qu’une heure de ma vie pût se gaspiller : « Quelle est, me disais-je, cette liberté d’abaissement dont en tant qu’homme je jouis ? Tout ce qui existe peut donc m’aider à être comme mort à celui que je suis ? Je me revoyais enfant dans l’exaspération des visites dominicales où l’on n’entendait que des paroles prévues et insipides ou bien déjà adolescent anéanti de dégoût par les soirées creuses, aspirant après les immenses nuits de travail ou d’orgie. Je savais combien j’avais abhorré les