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les chevaux encore attelés aux pièces qu’il fallait abandonner. Il arrivait presque toujours qu’après une tempête et un froid excessif causé par le vent et la neige, le temps devenait plus supportable ; il semblait que la nature s’était épuisée de nous avoir frappés et qu’elle voulait respirer pour nous frapper encore.

Cependant, tout ce qui respirait se mit en marche. L’on voyait, à droite et à gauche de la route, des hommes à demi morts sortir de dessous des mauvais abris formés de branches de sapin, ensevelis sous la neige ; d’autres venaient de plus loin, sortant des bois où ils s’étaient réfugiés, se traînant péniblement, afin de gagner la route. L’on fit halte un instant, pour les attendre. Pendant ce temps, j’étais, avec plusieurs de mes amis, à parler de nos désastres de la nuit et de la quantité incroyable d’hommes qui avaient péri. Nous jetions machinalement un coup d’œil sur cette terre de malheur. Par places, l’on voyait encore des faisceaux d’armes formés, et d’autres renversés, mais plus personne pour les prendre. Ceux qui gagnaient la route avec les aigles de leurs régiments, après s’être réunis à d’autres, se mettaient en marche.

Après avoir rassemblé le mieux possible tout ce qu’il y avait sur la route, le mouvement de marche commença : notre régiment forma l’arrière-garde qui, ce jour-là, fut on ne peut plus pénible pour nous, vu la quantité d’hommes qui ne pouvaient plus marcher, et que nous étions obligés de prendre sous les bras, afin de les aider à se traîner et de les sauver, si l’on pouvait, en les conduisant jusqu’à Smolensk.

Avant d’arriver à cette ville, il faut traverser un petit bois ; c’est là où nous atteignîmes toute l’artillerie réunie. Les chevaux faisaient peine à voir ; les affûts de canons, ainsi que les caissons, étaient chargés de soldats malades et mourant de froid. Je savais qu’un de mes amis d’enfance, du même endroit que moi, nommé Ficq, était, depuis deux jours, traîné de cette manière. Je m’informai de lui à des chasseurs de la Garde du régiment dont il faisait partie, et j’appris qu’il n’y avait qu’un moment qu’il était tombé mort sur la route, et qu’en cet endroit, le chemin étant creux et rétréci, l’on n’avait pu le mettre sur le côté de la route, et